Jacqueline L'heveder


Dounia

Dounia, j'ai su son nom
Quand, enfin rassurée et réchauffée
Elle a prononcé ce mot en se montrant du doigt.
Un regard immense et tout au fond, un gouffre.
Le visage est figé, ultime défense, on ne peut entrer dans Dounia que par les yeux.
Des cheveux en bataille, un foulard coloré les contient.
Je lui indique par un geste de s'asseoir
Regards multiples qui découvrent un autre monde
Comment lui parler ? Elle semble venir de nulle part. L'Est ? La Syrie ? Ailleurs ?
Je lui tends du pain, de l'eau, un fruit, c'est quasiment universel.
Elle mange et boit goulûment et son regard se vide de la souffrance vécue,
pour peu de temps.
Nous sommes dans l'instant, quid du passé ? L'avenir ?
C'est la rue qui me l'a envoyée, elle me la reprendra.
Je lui donne quelques euros, un pull, et un baiser sur la joue.
Je reste seule au milieu de mes meubles envahissants, désorientée.
Qui suis-je en ce moment ?










Née en 1951, Jacqueline L'heveder habite à Aix en Provence. Ses premiers écrits datent de ses onze ans et elle n'a jamais cessé, en parallèle d'une activité de professeur de Lettres et d'une vie bien remplie. La poésie comme souffle, langage, exutoire, afin de capter le vivant si fugace, si riche et le goûter infiniment. Publications dans la revue Filigranes, dans Poezibao ; collaboration avec Patrick Guaffi, plasticien, pour Fragments autour d'un portrait. Présente dans le n° 21 de Lichen.

6 commentaires:

  1. Très touchant et très vrai. Tout le poème. Cette générosité si simple, profonde et lucide. Ce retour questionnant sur soi, à la fin, imprègne, fort.

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  2. vertige du partage dans un monde qui l'entrave
    merci d'être dans le présent,
    et de nous y amener.

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