La
ville 2
Les chemins de la ville au début c'est grisant. C'est un peu comme les
chemins dedans mais dans un corps immense. On marche le nez en l'air. Y'a plein
de choses à voir y'a aussi plein de gens mais c'est comme si y'avait personne :
On dit pas bonjour madame ! On fait comme si on ne voyait pas les autres. Faut
prendre un air comme ça de ne pas y être ! Au début c'est difficile et puis on
comprend. C'est tellement grand ! On peut pas perdre son temps à se faire des
rondes autour l'un l'autre. On préfère ne pas se sentir et aller tout droit là
où l'on doit même si l'on ne sait pas bien pourquoi ni où.
Toutes ces histoires de jeunes gens happés par la ville et qu'on ne revoit
jamais. Le voyage du père. La ville danger. C'est là justement qu'ils ont fait
des jardins les paysagistes, pour que les gens se promènent le dimanche en
pensant à rien. Qu'ils oublient l'usine le bureau le train-train.
Qu'ils oublient qu'ils sont d'un ailleurs où les chemins les aiment bien
et qu'ici y'a que des voies sans issues des embouteillages des parkings
saturés. Pourtant les ancêtres sont là aussi. Plus denses même, comme engloutis
dans un trou noir. Les traces quittent les pistes, grimpent aux arbres. Les
arbres des villes ont des histoires plus tragiques. Normal. Leur port est moins
beau, leur âme moins quiète... Les souvenirs s'accrochent aux plaques de porcelaine
« la providence », aux peintures anciennes qui résistent sous les crépis
factices. Au bazar à cent sous. À l'article de Paris. Au bonheur des dames,
n'est-ce pas !
Éric Cuissard habite à Reims. Il publie poèmes et récits
courts en revue, depuis une quarantaine d'années : Sol'Air (Nantes), Rétroviseur
(Lille), Friches (Haute-Vienne), Inédit Nouveau (Belgique) et Phooo (Calcutta). Trois recueils
publiés : Sténopé (Sol'Air), Angles des Cris Purs (Books on Demand)
et Le Résident des Interstices (Sajat). Ce texte est extrait du roman inédit Des chemins aussi. Présent depuis le n°
4 de Lichen, à l'exception des n° 19
et 22.
Cette attention songeuse... Et cette façon de dire. Elle doit bien avoir son secret, pour que le point d'exclamation final soit démenti par une sorte de ressac, de tempo qui n'est pas d'accord pour cesser de nous emmener. Et cela dure. Merci Éric.
RépondreSupprimerUn peu long à te remercier, c'est que régulièrement je la quitte la ville,pour les forêts creusoises. Il faudrait dire là, justement, ces maçons creusois partis vers les grandes villes pour les construire de leurs mains. J'aurai dû aussi mettre le "voyage du père" entre guillemet. Roman de Bernard Clavel. Qui connait cet homme aujourd'hui.
SupprimerJ'aime cette ville dans laquelle on se perd parfois. En suivant les chemins et les voies sans issues, il arrive même qu'on se trouve...
RépondreSupprimerOn se retrouve autour d'un verre de vin. A la notre!
SupprimerUne flânerie teintée d'une douce tristesse qui invite à la curiosité autant qu'à l'introspection. Un périple urbain qui me touche beaucoup.
RépondreSupprimerSi le temps vous le permet vous lirez :"l’apprentissage de la ville " de Luc Dietrich. Ma sympathie Marjorie.
SupprimerC'est tout le dilemme ville-campagne, cette ville qui nous attire et qu'on rejette, cette campagne où il faut aimer le vent, l'humus et la solitude... Quelle voie suivre, vers quelles issues ?
RépondreSupprimerBonjour Monsieur,
RépondreSupprimerJe vous dis bonjour comme je le ferais un midi dans une ville étrange. Il y aurait des gens et des néons blancs. Il y aurait des mocassins bien cirés et des haillons déchirés. Il y aurait des odeurs de pisse et des becs de pigeons. Il faudra se souvenir des clochers de campagne et des chemins qui mènent au ruisseau. Revoir le vieux pressoir dans la grange béante. Suivre le parfum des reinettes et déglutir une salive au goût du cidre d'ici. Puis cueillir des noisettes et cuire un gâteau puis s'assoir sur le petit pont et tremper les pieds dans le petit torrent vert. On oubliera et la ville et son tohu-bohu. Il y aura de la féérie dans les cailloux et le bruit des silences.
Ainsi je vous remercie, Monsieur, parce que la poésie fait une décalcomanie sur chacun de vos mots.
Merci.
Sylvie franceus, fée