Didier Gambert a lu À chaque pas de Bertrand Degott (L’Arrière-pays, 2008, 40 p., 8 €).
Parfois, à fréquenter les contemporains immédiats, souvent occupés à s’entredévorer ou à s’assurer une indispensable visibilité sans laquelle tout ouvrage de poésie est voué, c’est un fait, à l’oubli dès sa parution, la tentation vient d’échapper peut-être durablement à une actualité poétique qui risque de masquer l’essentiel : il faut alors savoir détourner le regard et s’arrêter à considérer les lointains. Parfois, c’est d’une main amie que viendra la surprise, et le regret de n’avoir pas connu plus tôt ce poète, cette poétesse. Ainsi la note critique du mois, occasion de faire un retour en arrière, sera-t-elle consacrée à un petit livre publié en 2008 par le poète et universitaire Bertrand Degott, et sobrement intitulée À chaque pas.
Il s’agit d’un ouvrage élégant de vingt-six pages imprimées, dédié à la gloire du sonnet élisabéthain, forme poétique que Françoise Morvan, dans une récente traduction des Sonnets de Shakespeare (traduction d’André Markovicz et Françoise Morvan, éditions Mesures, janvier 2023) définit comme une forme obéissant « à des règles strictes [comportant] trois strophes en pentamètres ïambiques à rimes croisées suivies d’un distique à rimes plates ». Françoise Morvan ajoute que les strophes ne sont pas séparées, tout devant mener d’une seule coulée au distique final.
Bertrand Degott ne s’astreint pas à une telle rigueur, presque archéologique, mais s’impose de couler son projet poétique dans une forme qui le tient : trois quatrains rimés, un distique final, un usage scrupuleux et quasi exclusif du décasyllabe.
Le recueil instaure comme un dialogue entre le locuteur-poète et une figure féminine qui semble faire l’objet d’un « amour de loin » (pour reprendre le thème imaginé il y a bien longtemps par Jaufré Rudel). Il s’agit donc, à travers l’évocation de l’absence, de mettre en scène des figures du désir, de jouer sur la possibilité du rapprochement.
Le poète imagine pour ce faire une correspondance, censée entretenir le lien, le désir : « Dis-moi ce que tu vois de ta fenêtre / quand tu m’écris… moi je n’ai que des toits / et du grand ciel, à l’image peut-être / de ma vie maintenant qu’il y a toi » (p. 12). L’inscription dans un lieu, ici celui de l’écriture, établit un lien concret en dépit de la distance, et permet également d’obtenir une réponse : « Le cerisier, dis-tu, mais tu l’observes / et lentement le bourgeon passe en fleur / — tu ne dis rien des fruits, tu te réserves / d’autres mots pour parler de la douleur » (p. 14). L’interlocutrice, réelle ou rêvée, dont les mots font ainsi écho de manière très subtile à ceux du poète, vient nous rappeler que la poésie est souvent affaire d’infinie délicatesse. Les bourgeons, puis les fleurs du cerisier, peut-être métaphores de l’amour (on pense malgré soi, dans une association libre, aux lilas fleuris d’Oblomov, symboles de l’amour vécu malgré lui par le personnage inventé par Gontcharov), permettent d’inscrire dans le recueil la durée de la séparation, le passage du temps.
Le temps, qui accompagne le récit de cette passion — heureuse, semble-t-il, car à la fin du recueil les deux protagonistes semblent réunis —, est en effet omniprésent. Les mois se succèdent : le premier nommé est le mois de mai, à venir lorsqu’il est évoqué (p. 12), puis il y aura, reprise plusieurs fois, l’évocation du printemps, puis celle de juillet. Le dernier nommé est décembre (p. 36). Pour finir, une alouette surgie au cœur du dernier poème, au plus noir de l’année, n’annonce-t-elle pas un nouveau printemps à venir : « d’un arbuste // sur le côté que les bourrasques jettent / plus bas que l’herbe arrive un pépiement / tu vois jaillir de l’ornière une alouette / porter son trille en plein milieu du vent » (p. 37) ?
Le recueil acquiert ainsi une dimension cyclique, en accord avec la célébration de l’univers végétal dont il est porteur. Le poète fait vivre pour le lecteur un nombre considérable de plantes à fleurs, qu’il évoque avec un plaisir de botaniste connaissant son affaire. De fait, ne peut-on pas considérer l’ensemble de l’ouvrage comme une sorte de bouquet offert à la personne aimée : « Je te confie ce bouquet de langage / emporte-le sur les chemins où tu / situes la crête et qu’afin de partage / il y résonne autant que je l’ai tu » (p. 11). Il y a, on le devine, quelque chose de ronsardien dans l’ouvrage, qui se lit avec un grand plaisir, et qu’un mot plus que d’autres semble caractériser : la grâce.
Didier Gambert
Né en 1963, Didier Gambert est spécialiste de littérature du XVIIIe (thèse soutenue en 2008, publiée en 2012 chez Champion) et a publié quelques ouvrages dans ce domaine. Il a d’abord pratiqué l’écriture poétique de manière intermittente, puis de façon très régulière ces dernières années. Certains de ses textes ont illustré une exposition de photographies de Bérénice Delvert, intitulée Métaphysique de l’Océan (La Grange aux arts, Champniers, près d’Angoulême). Présent, en tant que poète, dans les n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 59, 60, 61 et 62 et en tant que critique dans les n° 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 70, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82 et 84.
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