par Guy Coutherut
Ici et maintenant
À l'heure où nous cherchons une issue de secours avec nos mains aveugles ; à l'heure où nos pas sombrent et s'enfoncent dans la nuit ; à l'heure où nous mâchons les images à l'écran comme vaches au râtelier ; à l'heure où nos amours sont jetés dans l'arène ; où nous sommes asservis au devoir de séduire ; à l'heure où les vieillards sont gardés par des rats ; à l'heure où les serpents se glissent sous les paupières de nos enfants perdus ; à l'heure où nos drapeaux torchent le cul des rois ; à l'heure où les cigognes creusent leurs nids sous la terre,
Comment fermer les yeux sans voir des astres morts ? Comment se regarder dans le miroir des jours sans tressaillir d'effroi ?
À l'heure où le pilier ne soutient plus que l'air ; à l'heure où le danger surgit de la caresse ; à l'heure où l'assassin vient nous baiser la main ; à l'heure où le désert s'invite à notre source ; où seuls quelques humains entraînent dans leur naufrage tous les autres vivants ; à l'heure où notre peur engraisse l'inquisiteur ; à l'heure où la croyance fricote avec la science ; à l'heure où vrai et faux font des petits ensemble ; à l'heure où les épines ont dévoré la rose,
Comment garder intacte la fraîcheur de nos rêves ? Et comment retrouver les chemins d'innocence ?
À l'heure où la guerre monte ainsi que l'océan aux plus hautes marées ; à l'heure où l'on prépare, minute après minute, l'opinion à la faire ; à l'heure où dans nos yeux se dressent des miradors ; à l'heure où nous dormons avec sous l'oreiller un couteau de cuisine ; à l'heure où l'on ordonne aux soldats de violer ; où les chiens errants dévorent les cadavres grouillant d'asticots ; à l'heure où les rivières charrient les corps gonflés, bleuis, méconnaissables, de nos chères illusions,
comment chanter encore ?
Et pourtant. Et pourtant c'est ici qu'au fond de nous jaillissent, tout englués encore des glaires de la naissance, ceux-là qui sont déjà en train de tout changer.
Ici et maintenant.
À l'heure de ton portable.
Membre de l'espèce humaine et conscient que celle-ci se hâte vers une fin aussi indéterminée qu'inévitable, Guy Coutherut tente en permanence, depuis qu'il sait parler, un dialogue avec les arbres, les oiseaux et les nuages en vue d'éclaircir la situation. Devant l'ampleur de la tâche et la maigreur des résultats, il s'applique à ne rien faire qui puisse le décourager. Présent dans les n° 41, 42, 43, 44, 47, 51 et 53 de Lichen.
j'admire votre lucidité honnête et courageuse
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