Ce mois-ci, Sylvie Franceus a décidé de rescaper une expression typiquement bourbonnaise ; Béatrice Pailler un vieux verbe argotique ; et Barbara Le Moëne un autre verbe vieilli. Merci à elles trois !
1) Pour qui qu’il est le crougnon ?
Le dîner était frugal : soupe et fromage. Il y avait toujours une petite bagarre autour de la table quand Mémé demandait : « Qui c’est qui l’veut, l’crougnon ? » et toutes les mains se levaient en double autour de la miche en cours de tranchage. On aimait tous le croustillant de la croûte du grand pain. On aimait sa couleur et son goût de caramel. On aimait les flocons de farine restés accrochés dessus : une neige sèche à lécher juste avant le trempage dans le gros bol brûlant. Parfois, la langue de Mémé ripait et ça faisait ainsi : « Alors, à qui que j’le donne, c’te creugnon ? » et rebelote de la bataille enfantine puis on entendait les sluuuurpscontents et le bruit des quenottes sur le bon. Juste avant le fromage, quelqu’un tentait un « Y en a t’y encore du crognon, Mémé ? ». Voui, y en avait encore.
(Sylvie Franceus)
2) Jaspiner = jaser, bavarder.
« − Hé ! Pomme de canne ! mugit une voix, tu jaspineras plus tard, sers-nous d'abord des bocks ! » (J.-K. Huysmans, Marthe, 1876, p. 93).
« Elle n'a que ses bouts de chiffon qui la comprennent, le soir, dans les coins tranquilles, elle défait son baluchon, elle leur jaspine, pas besoin d'articuler, pour eux, c'est trop fatigant, elle parle comme les chiens. » (Aragon, Beaux quartiers,1936, p. 251).
(Béatrice Pailler)
J'ajouterais que ce verbe est considéré comme « populaire » et « argotique » et qu'il semble être la contraction des deux verbes « japper » et « jaser ». Les étymologistes en trouvent trace dès le début du XVIIIesiècle (le grand lexicographe Gaston Esnault cite une occurence dès 1715). Plus tard, on le trouve aussi chez Hugo et chez Carco. (G. de P.)
3) Le verbe se musser = se ramasser, se replier sur soi-même.
Mon ordinateur lui-même l’a d’abord refusé, me proposant de le remplacer — non sans humour — par se masser. Pour illustrer ce mot, je propose ce poème inédit :
Dans ma cuisine se cache une souris
ignorante du rugueux de la terre
ignorante du tremblé de l’herbe
qui file sur carrelage lisse
c'est menu et doux, une souris
la tête est délicate l’œil vif le pelage comme du velours
ne parle pas, une souris
juste des petits cris qui n’effraient personne
dans l'entrebâillement de la porte
faufile son museau par la lumière du dehors éblouie
voudrait bien faire partie du monde
ajouter au poids du monde ses quelques grammes
d’être vivant — poils, os —
mais elle ondule
avant de se musser
derrière le meuble
contre sa peur
(Barbara Le Moëne)
Merci Sylvie, Béatrice, Barbara de faire vivre cette rubrique. Et quelles références! Quelle mise en valeur.
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