Notes de lecture

 

1) Éric Cuissard a lu les Calepins voyageurs, tome 1 : et après ? de Cathy Garcia Canalès* (collection "à tire d'ailes", chez l'auteur, St-Cirq-Lapopie, Lot).

 

Le premier est sorti en juillet, Cathy nous en promet deux autres.

 

Ça n'a l'air de rien ces calepins, ça déambule en France, un peu partout en Europe et jusqu'en Asie et puis très vite on se sent bien aux côtés de la dame. De petits éclats de plaisirs en inquiétudes lancinantes elle nous entraîne dans son errance où les beautés des paysages, des architectures se voient contrebalancées par des pensées grises que même les multiples rencontres ne suffisent pas à dissoudre. Un mélange de gains et de pertes à somme nulle porté par une écriture spontanée, vivante en notes rapides mais tendue sur les profondeurs de l'âme. Ce mot d'ailleurs finit par venir sous sa plume et l'on se dit alors que l'on vient d'entrer en résonance avec QUELQU'UN !

 

Éric Cuissard.

 

2) Didier Gambert a lu Litanie pour possession de Pierre Andreani* (éditions Sans Escale, mars 2022, 68 p., 13 €).

 

L’écriture poétique passe pour une des formes les moins socialisées de la littérature, c’est-à-dire que la nécessité de transmettre un « message » y est moins prégnante que dans tout autre type d’écrit. Parfois, le contenu y demeure inatteignable en quelque sorte. Le texte donne à voir un horizon chimérique, pour reprendre la belle expression de Jean de La Ville de Mirmont, un au-delà inexistant. Pierre Andreani fait vivre à son lecteur une expérience de ce type dans Litanie pour possession, paru au début de l’année 2022.

 

Il semble bien en effet, comme le suggère la quatrième de couverture, et l’on s’appuie ici sur un certain nombre d’indices plus ou moins ténus, que le poète ait entrepris d’écrire en creux un poème – et pourquoi pas une épopée – en train de se faire, et de ne rendre compte que de cet effort créateur, de cette démarche d’écriture, de n’enregistrer que les gestes de l’artisan-poète en train d’œuvrer, sans que jamais n’apparaisse le texte créé, l’œuvre imaginée ou fantasmée, vouée qu’elle est à demeurer l’absente de tout bouquet chère à Stéphane Mallarmé. Au lecteur, s’il le souhaite, est dévolue cette tâche.

 

Cela commence ainsi : « on m’invite à glorifier / ici par cent / mots agencés / comme il me plaît, / dire, miauler une litanie / pour possession, / un orémus des grands matin » (p. 3). Thème et titre sont ainsi donnés, d’emblée  litanie, orémus –, plus loin « prières liturgiques », « oratoriens », « pensées séraphiques » : on entre dans le sacré, un sacré vigoureux entonné à pleine, ou à mi-voix. Comme un chant de départ, un chant de quête, et de conquête.

 

L’artiste est au travail, évoque son « dernier chant en date » (p. 6). À la page suivante le voici devenu peintre, attentif à corriger, semble-t-il « une bosse sur votre crâne rétif / enflure de / ce casque en forme de melon, / je peins, / égalise ce nœud-là qui retient / serré le / courage ou ardeur, éteins la fièvre » (p. 7). Sans doute, écrire est-ce « desserrer le courage, l’ardeur, allumer la fièvre », susciter une forme de transe, comme on la verra à l’œuvre dans la suite du poème, et par là il faut entendre le recueil dans son entier, qui ne peut se prêter à une lecture anthologique, fragmentaire, mais doit être lu dans sa continuité afin de produire l’effet qu’a sans doute voulu l’auteur, intentionnellement.

 

Plus loin, autre activité artisanale ;  il est question de tissage (ce que suggérait le texte de la quatrième de couverture) : « s’avancer à la / barre, rebattu, investi d’une / mission, / division des fibres pour apprendre / à filer, / amas tiré de l’écorce et / du ventre ouvert, ballant » (p. 9). S’agirait-il d’écrire avec ses tripes ? De fait, une définition de la poésie s’esquisse peu à peu : « tant d’hectolitres de vent, / frisottis / champêtres souples, gluants, / sur tant de pages, / poètes qui saignent bleu, étalés dans le / souvenir, rectangulaire qui orne / circulaire / qui soutient, ovale qui habille » (p. 10). Est-ce une façon de condamner la jérémiade d’une poésie faite de vent ? ou bien encore une poésie ornementale – dûment encadrée comme dans une galerie d’ancêtres aristocratiques – avec ses poètes au « sang bleu » – donc nobles ? À cela s’oppose le prosaïsme des pages 16 et 17, où le poète évoque une « serpillière » « dans un seau vert pomme et gris », puis « l’odeur de la javel » nous ramenant ainsi à une réalité plus urticante. Notons en particulier ce poème où semble s’exprimer un art poétique original et définitif : « la lyre, pour mériter, devoir / s’en frapper le caillou avec ; / vingt fois sur le métier, / remettre son ouvra- / ge ne suffit plus, c’est / d’en perdre les dents qui / compte désormais / pour qu’on en soit digne alors, / Pensez-donc, Will Kemp s’il vous / voyait là, fi ! » (p. 55). En raccourci on croit lire une histoire de la poésie : commençant par la lyre d’Orphée, on continue avec les préceptes de Boileau lui-même, avant de parvenir à cette curieuse scène d’automutilation, où les poètes édentés proposent des visions de cauchemar, dignes de Goya. À noter également, cette affirmation à valeur de manifeste, dans sa densité : « non la poésie n’est pas comme / ça, lascive et molle, / démocratique ou suintante de / n’importe lequel d’entre / nous ; elle est nature dérivée, / mystère, crème, / de structure élitiste, / et une besogne bien rare » (p. 56). Le poète dit ainsi clairement, de manière antithétique, ce qu’il rejette et, au contraire, ce qu’il accepte et promeut.

 

Pour finir, le poète développe dans quelques poèmes les deux figures de Will Kemp et Robert Armin, acteurs et clowns de l’époque élisabéthaine, et contemporains de Shakespeare. Au cours de ce que l’on nomme les « Nine Days Wonder », Will Kemp avait rallié Londres à Norwich en dansant, établissant ainsi une performance dont s’inspire ici Pierre Andreani : « vingt-trois jours de / pluie et de vent, / dansa sur les chemins d’Essex, / de Norfolk, et / Armin (Robert), fou naturel, / tremble de tous ses membres, / et aussi bave épais sur / son mouchoir frémissant » (p. 48). Sans doute le meilleur commentaire vient-il du poète lui-même : « de cette manière, croyons / qu’ils ébranlaient et / l’un et l’autre la quiétude d’un / temps bien pareil / au nôtre, fataliste / et servile » (p. 49). Ces cers, dénonçant la quiétude des temps, ont sans doute été écrits avant certains événements récents  – il n’en demeure pas moins qu’un air de révolte semble courir dans cet ouvrage, où s’exprime une poésie de l’énergie, indubitablement.

Didier Gambert

 

Cathy Garcia est présente dans les n° 2, 3, 4, 6, 7, 8, 10, 14, 15, 16, 19, 21, 22, 28, 29, 51 et 77 de Lichen et Pierre Andreani dans les n° 13, 15 et 26.

1 commentaire:

  1. Il est fort ce Gambert, dites donc !
    Un grand merci à l'auteur de ces lignes qui a raison sur tout, d'autant qu'il m'ouvre encore les yeux sur un texte que je revisiterais un jour à la lumière ces observations. Ravi de savoir que mon labeur a porté ses fruits et que mon propos a été si bien compris.
    M. Bec vous pouvez transmettre !
    Bien à vous
    Pierre

    RépondreSupprimer