Note de lecture

 

Didier Gambert a lu Imprécations nocturnes, de Grégory Rateau (Conspiration I éditions, 2022, 78. p., 9 €).

 

C’est, sous sa couverture dorée, un livre qui à peine pèse en main, qui pourrait s’envoler tant il semble ne pas être soumis aux lois de la pesanteur, tenir presque du papillon. Et pourtant Imprécations nocturnes, deuxième opus poétique de Grégory Rateau, pèse, semble-t-il, du poids de toute une existence, ou d’existences multiples, plurielles. La sienne, bien sûr, d’abord et surtout : il semble que l’ouvrage se risque à emprunter la voie du biographique, même si celui-ci fait l’objet de distorsions, de réécritures, voire de mensonges (ceux-ci étant par avance pardonnés à leur auteur) et voisine avec la constitution d’un ethos, terme qu’affectionne la critique contemporaine pour désigner l’image que l’auteur renvoie de lui-même, sa postured’écrivain, que l’on se gardera bien de chercher à vérifier, tant cette image proposée au lecteur est, en fin de compte, la seule à compter.

 

Au début surgit ainsi l’image du gamin, celui sans doute que le poète porte en lui, ou alors peut-être une forme de double, celui qu’une force première « a lancé dans le monde / cherchant « la maison » partout / où les sourires se souviennent encore » (p. 17). Est-ce le même que l’on retrouve à la fin du recueil (on ne l’imagine pas apaisé pour autant mais un mouvement d’involution semble s’être mis en œuvre pour le ramener à ses origines) : « J’ai échoué en suivant des ombres / dans les impasses de l’amitié / alors je me glisse dans la première valise venue / retiens mon souffle / bringuebalé aux douanes du hasard / en passe muraille de mon époque / je rentre peut-être chez moi » (p. 72) ? Ainsi s’esquisse un mouvement d’expansion, comme si, d’une explosion initiale, sorte de big-bang poétique, la coupe étant pleine, le poète avait trouvé la force de s’extraire d’une gangue paralysante, peut-être afin, tout simplement, d’exister.

 

Il y a d’abord les ancêtres, ceux qu’a engloutis le grand passé, ceux dont nous sommes issus, ceux qui ont précédé, ceux qui forment lignée : « Qui sont-ils / ceux que nos proches convoquent d’outre-tombe / […] ils ne sont pas grand-chose / mythes sans fondation / inconnus sans adresses / poussière noire balayée au fil du patronyme / et malmenée par les unions indignes » (p. 58). En quelque sorte ils font poids, forment une espèce de gangue d’où le poète est à la fois surgi et d’où il cherche à s’extraire. La solution trouvée est celle du voyage, celui, sans retour, qui conduit à tout quitter, à s’arracher en quelque sorte : « Quand dehors / l’appel brûlant des vivants / trop loin, trop proche / je plonge mes yeux de spectre dans ceux de mes ancêtres / deux mondes pour sceller le même cercueil / chacun devenant le fantôme de l’autre / photos écornées de visages énigmatiques / des histoires à réinventer / langue morte dont le sens se perd / alors que je me terre à Palerme / dans cette chambre minuscule / pastiche de chez-moi » (p. 19). On serait tenté de voir dans ce je me terre paradoxal l’expression d’un enracinement dans le départ, le mouvement De la même façon semble se poser la question du chez moi, du lieu d’où irradier, qui ne sera pas un cercueil. De la même façon, la question du lien familial semble posée, à travers l’image énigmatique du mauvais père surgie au début de la troisième partie : « Je suis ce vieil homme un peu dément / t’épiant derrière la vitre d’un café / toi le fils qui / par cette nuit glacée / as été cette petite chose vibrante / désirée puis repoussée // […] alors je me demande sans courage / pardonne au père que je n’ai jamais été » (p. 53). Réalité, fantasme d’un doppelgänger, double du poète, scène de voyeurisme ou évocation du, d’un père, véritable ou imaginé. Seul le poète serait en mesure de donner la clé de cette mise en scène. Quoi qu’il en soit, elle semble marquer une certaine défiance vis-à-vis de l’idée de filiation, déjà présente dans un autre poème se terminant sur l’évocation d’une « vie entière pour un rien / car privée de tout / même d’une descendance » (p. 25). 

 

Grégory Rateau nous parle ainsi de choses graves, sans métaphores, presque sans images, en utilisant parfois des formules issues de la vie de tous les jours, voire simplement prosaïques.  Il semble dans cette poésie du je renoncer volontairement aux ors du langage poétique. Et tout chez lui semble dramatique, voire dramatisé. Ainsi surgit l’image du peintre Van Gogh dans une sorte d’entretien mené avec son frère Théo en qui gît une indéfectible solidarité fraternelle : « S’il arrive un malheur, nous le braverons ensemble / et si je vis à tes crochets / une même passion nous unit / sur mon chemin solitaire / dans une campagne noire de corbeaux / je te chercherai toujours mon frère / les reflets cuivrés de tes mèches / ton sourire et ta main guidant ma palette / et si je dois y mettre un terme / laissons se consumer les champs de blés d’Auvers / oublions Gauguin, Paris et ses galères / gisons côte à côte / ensemble et sereins » (p. 37). Cité in extenso ce poème évoque deux grands maudits de l’art, les deux frères Van Gogh, et semble correspondre chez le poète à un désir caché d’union et de partage, une façon de fuir la solitude propre à chaque être humain. Ne peut-on pas lire ainsi l’inquiétante apparition du double que l’on découvre dans le poème de la page 66 : « La nuit je l’entends, attablé / se consumant à mon bureau / les touches craquent / il redouble de violence / je le sens […] ses traits sont presque identiques aux miens […] le manuscrit que je récupère au petit matin / est le testament d’un damné ». Sans doute le poète joue-t-il ici avec l’image rimbaldienne du maudit présent dans la Saison en Enfer (Rimbaud semblant constituer une référence majeure pour le poète). Au-delà de la référence littéraire, tout simplement, Grégory Rateau nous donne à lire un ouvrage plein de tourment, d’apparence simple, mais en réalité d’une grande complexité.

 

Didier Gambert

2 commentaires:

  1. "je plonge mes yeux de spectre dans ceux de mes ancêtres / deux mondes pour sceller le même cercueil / chacun devenant le fantôme de l’autre /- " la répétition de l'attitude style "poète maudit", semble plus une posture qu'une recherche de qualité littéraire ne serait-ce que par la musicalité, encombrée d'une surabondance d'adjectifs qui confèrent à la lecture, une lourdeur certaine...

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  2. Surabondance d'adjectifs laissez-moi rire. La citation prouve le contraire, le rythme et la musicalité sont là Ce recueil est taillé à l'os. L'un des plus charpentés de cette rentrée littéraire. Amicalement. G.

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