Note de lecture

 

Didier Gambert a lu des lents élans ; La trirème irradiée, de Philippe Milbergue (Les Morfals éditions, 2021 *)

 

Philippe Milbergue est éditeur. Il est aussi poète, homme de théâtre, et écrit des romans. Il est également, on s’en doute plus d’une fois en le lisant, musicien (et aime Léo Ferré), mais aussi, peut-être, un peu philosophe épicurien, au sens premier et noble du terme.

Les éditions « Les Morfals », qu’il dirige en quelque sorte, au sein de l’association du même nom, ont publié plusieurs de ses œuvres, mais ont su s’ouvrir à d’autres auteurs, peut-être de ses amis, car l’amitié semble compter beaucoup dans son univers, à moins qu’il ne s’agisse tout simplement des hétéronymes dont il prend parfois le masque : Stan Mistchevkov, Akima son Li, Jirina Fukova, Jérémy Maranne ainsi que Moha Terzi figurent ainsi au catalogue des éditions « Les Morfals ». Par ailleurs les textes des trois ouvrages que l’on a consultés bénéficient tous des illustrations de Valérie Lamarre, artiste plasticienne.

 

Ce qui frappe en lisant Philippe Milbergue (il sera surtout question ici du recueil des lents élans) c’est un sentiment fort de bonheur et de familiarité. 

 

Usant de la forme japonaise du tanka, qu’il a découverte dans l’anthologie de la poésie japonaise publiée en Poésie/Gallimard (et méditée ensuite), le poète nous invite à partager un certain nombre d’épiphanies poétiques. Dans une courte préface il nous présente la forme du tanka, prestigieuse au Japon, établit clairement la structure du texte, formé d’un tercet descriptif suivi d’un distique dont la fonction est d’insinuer une dimension spirituelle.

 

Il s’agit, la plupart du temps, d’exprimer une poésie du quotidien, humble, immédiate, qui n’hésite pas à suggérer quelques drames discrets auxquels elle donne une forme de résonance sensible : « Le baiser du chat / a tué le rouge-queue / qui venait de boire / le vent n’élèvera plus / la trille de l’oiseau mort » (p. 12). En quelques mots, le vide s’installe et se prolonge. Le poète dit l’absence, le deuil. Philippe Milbergue parvient ainsi, nous semble-t-il, à s’imprégner de l’esprit « japonais » auquel il emprunte la forme dont il fait usage : « Un papillon vert / sur le bord de ma soucoupe / prêt à s’envoler / le temps qui passe s’observe / dans le second battement » (p. 28). Cette poésie, qui évoque donc la figure du sage japonais, ou chinois (et l’on pense alors à Ombres de Chine publié par André Markowicz), a éminemment quelque chose de spirituel, et manifeste une secrète accointance avec tous les aspects de la vie de l’homme : « L’écriture est simple / elle coule virtuelle / fleuve naturel / trois secondes pour un mot / toute une vie qui se cache » (p. 35). Sans doute ne faut-il pas être dupe de l’apparente simplicité, ou sérénité des textes contenus dans le recueil : toute une vie se coule entre des mots très simples.

Nourrie du quotidien, la poésie de Philippe Milbergue célèbre les objets les plus inattendus. Ainsi du cendrier, grand oublié en poésie : « Le cendrier vide / sur la table du jardin / vole la rosée / et les fourmis se régalent / des miettes de notre vie » (p. 11). Tout l’art du tanka est là : d’abord une observation, un constat, puis une réflexion, incisive, qui en constitue le commentaire spirituel. Quotidien encore : « Ris de veau foie gras / des amis à notre table / le monde est à nous / notre porte reste ouverte / un couvert à cette table » (p. 71). Bien que pas très « zen », le repas témoigne d’un sens très ancien de la convivialité, du devoir sacré de l’hospitalité. Pour un peu on s’inviterait sans façons à cette table.

Puis c’est toute la vie du poète qui semble habiter le recueil, y déferler. L’amour, l’amitié, les enfants (trop tôt grandis) y tiennent une place essentielle. L’amour, source de vie éternelle, de jouvence : « Les années s’écoulent / plus courtes les unes l’autre / et moins de sommeil / je finirai centenaire / si tu restes près de moi » (p. 76). La figure de l’aimée, essentielle, apparaît très souvent. Comme l’écrit le poète : « L’Amour est un fleuve / à l’est de la Sibérie / au sud des grands froids / il occupe tant d’espace / qu’il nous consume tous deux » (p. 75). L’Amour est donc un feu liquide qui a l’immensité et la force d’un fleuve russe.

Des lents élans est aussi un tableau de la vie qui passe, a passé, une histoire de ses désillusions : « Nous avons vingt ans / dix-neuf cent quatre-vingt un / la gauche au pouvoir / quatre-vingt trois a rayé / l’espoir d’un monde nouveau » (p. 83). Teintée de mélancolie, l’évocation des idéaux perdus, dévoyés, se fait plus noire : « J’ai relu Platon / Aristote et Xénophon / Épicure aussi / république ou tyrannie / c’est toujours la même histoire » (p. 93). La politique, visiblement, ne laisse qu’amertume, regret et sentiment d’impuissance.

Heureusement demeure la musique, remède suprême qui, si l’on s’en souvient, parvenait à donner un sens à la vie à la dérive du Roquentin de Sartre : « Un air de guitare / manouche voire espagnol / Al di Meola / ou Paco de Lucia / suffisent à mon bonheur » (p. 94).

On lit agréablement ce recueil qui se veut comme le tableau d’une vie. On aime pour tout dire cette impression de proximité, de familiarité retenue et sincère.

 

Didier Gambert

 

* Voir : https://shop.lesmorfals.fr/10-librairie et http://www.m-e-l.fr/philippe-milbergue,ec,1099

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