Ignorez-moi passionnément
Rester
vivant.
À
cette seule fin, il te faudra encore aller, sur tes sentes d'étroite lumière,
vers cela qui toujours, devant toi, fait masse, se dresse comme un ciel aveugle
qui recule à mesure et, sans jamais céder, repousse et ralentit ton désir d'avancer,
vers
cela contre quoi tu dois sans cesse te cabrer, cette force d'inerte paroi qui
ne peut que laisser à vif et inapaisé, avec, au bout des ongles, ce qui saigne,
avec aussi, entre les côtes, cette blessure qu'il te
faut désemplir sans relâche de la nuit qui la guette.
Il
faudra bien un jour, dis-tu, que se lèvent tes yeux, ta bouche, ton visage, aux
marges de tout silence, dans sa sécheresse de paille,
que
se lève ta voix, cette pierre en ces routes de pierres où l'on pèse son pas,
que
se lèvent ces mots qu'a semés ta parole, comme se redresse le chien couché sous
l'auge où on l'a si longtemps oublié.
Je
sens bouger en toi, qui de si loin me parles, des foisons de semence, cette
amitié que tu cherchais dans sa famine immense et ses entrailles remuées de
tant de vaines espérances.
Il
suffisait pourtant d'un seul regard, dérobé au suspens d'une brève rencontre,
pour que ta mémoire s'éveille et quitte la paix engourdie de la chambre des
morts, d'un seul trait de soleil à l'oblique du cœur pour que s'efface le
chagrin qui hante ton sourire.
Il
ne suffisait que d'un arbre qui tremble sous la caresse de ton geste, ce qu'il
se risquait à donner, sans rien attendre d'autre que ce que peut attendre une
chanson perdue dans l'accueil de ses branches et la quiétude de ses feuilles où
les voix étranglées font leur miel.
Ni
regrets cependant, ni remords.
Maintenant
que tu es aux portes de l'ombre, l'essentiel, te dis-tu, est d'accepter la
nuit, d'y prolonger ta route pour qu'au bout ce soit enfin le jour.
Oui,
maintenant, tu peux le dire, et cela seul suffit à l'émergence d'une secrète
mais ardente joie : ignorez-moi passionnément.
Michel Diaz a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages (textes
dramatiques, poétiques, nouvelles) chez différents éditeurs (P.-J. Oswald,
J.-M. Place, Jacques Hesse, L’Amourier, L’Harmattan, Christian Pirot, N &
B, L’Ours blanc, Cénomane, Musimot…). Outre des livres d’art en compagnonnage
avec des artistes, peintres ou photographes, il a travaillé également sur de
nombreux livres d’artistes à tirage limité. Collaborant à des revues (Chemins
de traverse, L’Iresuthe, CRV, Poésie/Première, Écrit(s)
du Nord, La Voix du basilic, Encres vives…), il est
directeur de la collection « Nouvelles » pour les éditions de L’Ours
blanc. Présent dans les n°s 5, 6, 7, 8, 12, 13, 14, 15, 17, 18 et 20
de Lichen.
C'est superbe ! Quelle profondeur !!! Merci.
RépondreSupprimerMerci pour votre retour qui me touche agréablement. Michel Diaz
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