Mémorial

 

Deux textes d'Éric Jaumier

 


La casse

 

c'est subtil ça brille les rétroviseurs les ronces entre les pare-chocs tes noms de fleur et toutes ces tôles cliquetantes dans ce vent de printemps Maria Rosa comme ton père ferrailleur il s'appelle De Rosa toi tu as gardé Rosa au milieu des chromes du vent et tu as des papiers tu as aussi perdu tes papiers dans une gare loin des rétroviseurs dans lesquels tu mets du rouge tu mâches du chewing-gum au cœur de mai tu tiens une clef à molette tu marches au milieu des tôles comme Rimbaud au milieu du blé tu comptes les biftons d'un alternateur et de trois bougies tu as des seins des fesses dans un bleu de travail serré tu sens l'alcool le parfum bon marché tu retournes le vent tu es une bêche un avenir un motoculteur tes manches relevées n'ont pas de montre juste une tête de mort de jolies couleurs une fleur au milieu des flammes la tôle cogne et donne l'heure quand elle est bleue métallisée comme le ciel tu ris tu parles des coquelicots c'est tendre les coquelicots au milieu du cambouis.

 

Poe le frère de l'écrivain

 

on l'appelle Poe tout le monde l'appelle Poe pourtant c'est son frère qui écrit lui il boit il joue du Django il dessine aussi des bandes dessinées mais s'en fiche il les pose dans un coin et n'y pense plus il parle à sa mère il parle quatre fois cinq fois il dit la même chose il répète il remet la chaîne cadenassée autour du frigo pour que le labrador n'ait pas trop de sucrerie sa mère a Alzheimer elle vit en Chine dans un jardin des Charentes au milieu des roses trémières c'est la Chine parce que c'est vieux au dos de la rue on dirait un hutong elle fredonne elle fixe l'air elle me fixe ses yeux sont des étoiles des flocons elle n'a plus d'âge elle n'a plus de mémoire je passe avec un escabeau mais qui êtes-vous elle ne sait plus le printemps miaule fait ses griffes elle regarde dehors étire sa chanson tout le monde est indien chinois elle sourit comme si elle voulait éprendre l'air d'un sourire qu'il flambe comme le soleil.

 

 




Artisan électricien, Éric Jaumier était autant passionné de littérature, de poésie que d'espace et de temps, de voyages...  Il nous a quittés définitivement en juin 2020, alors que son recueil Blanc corbeauvenait de paraître aux éditions Jacques Brémond. Présent dans les n° 29, 30, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47 de Lichen, nous lui avons rendu hommage dans le n° 51 et continuons à publier (à titre posthume) des poèmes qu'il nous avait fait parvenir.

 

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