Frédéric Perrot

 

Un coup d’épée dans l’eau 

 

 

Le passeur, homme taciturne, faisait avancer la barque d’un bras ferme. Je lui avais abandonné tout ce que j’avais et son mutisme m’était pénible. Le brouillard étant tombé, je ne distinguais rien et grandissait en moi le sentiment que ma traversée devenait plus symbolique que réelle.

 

Jamais je n’aurais soupçonné que le fleuve fût si large… Jamais je n’aurais cru que pût exister un tel silence…

 

Le passeur, calme bloc impavide, se tenait à l’avant et j’aurais tant aimé établir avec lui un semblant de contact. Malgré nos différences, malgré mon dénuement, nous étions tous les deux selon moi des êtres humains… Mais comme je ne parlais pas sa langue, je ne soufflais mot et attendais anxieusement. 

 

Je ne pouvais me résoudre à l’idée que mon désir ne demeure une fois de plus qu’un coup d’épée dans l’eau. 

 

 




Né à Nancy en 1973, Frédéric Perrot a très longtemps vécu à Metz, quelques années à Marseille et s’est installé à présent à Strasbourg. À ce jour, il a publié une quinzaine de textes dans la revue Traction-Brabant et un recueil auto-édité (Les heures captives, 2012). Présent dans les n° 7, 10, 12, 14, 15, 17, 18, 19, 20, 22, 28, 31, 32, 33, 34, 39, 40, 46, HSC et 54 de Lichen.

2 commentaires:

  1. On poursuivrait bien, quelques temps encore, cette traversée en votre compagnie, mais sans doute n'est-il rien d'autre que le silence au royaume des morts ?

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    1. C’est l’une des manières de comprendre le texte, sans doute la plus évidente… Mais il me déplaît que la mort ait le dernier mot et la fin demeure suspendue… Ce personnage étrangement passif a encore sa conscience pour lui et il ne se résout ni à l’absurdité de sa situation, ni à l’échec de son désir… Merci à vous.

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