Éric Cuissard

 

Rupestre

 

C'est parce que le gars il est éleveur de sauterelles à trompe. Voilà pourquoi !

Et ça, la plupart des gens qui racontent cet épisode de la création oublient de le dire.

Il commence tous en disant : Le gars il arrive d'on ne sait pas où. (Souvent on dit d'Afrique, parce que kantonsepadou c'est d'Afrique).

Le gratin de la critique est là. La culture condensée ! Lui il vient. Il voit pour la première fois de sa vie un pot de peinture et une toile. Il prend le pot, le jette sur la toile et pousse un cri.

La critique médusée : « Quelle fulgurance ! D'un geste ce sauvage parcourt vingt siècles d'interrogations artistiques et donne le monochrome comme réponse définitive ! »

Enfin, définitive, une fraction de seconde, parce qu'aussitôt il fout ses paluches sur la toile. C'est rigolo ! Il regarde ses mains devenues bleues (oui j'ai oublié de dire, la peinture était bleue, tout le monde peut se tromper), et la toile qui lui a volé ses mains blanches. Et puis il fait des traits avec ses doigts. Deux. Deux traits. Vers le haut. Et comme c'est loin d'être un imbécile, il voit bien que ça ressemble aux cornes des sauterelles à trompes. Alors il fait ni une ni deux (et pour cause), il dessine impeccablement un troupeau de sauterelles à trompes. 

 

 





Habitant à Reims, Éric Cuissard publie poèmes et des récits courts en revue, depuis une quarantaine d'années : Sol'Air (Nantes), Rétroviseur (Lille) — disparues aujourd'hui —, Friches (Haute-Vienne), Inédit Nouveau (Belgique) et Phooo (Calcutta). Trois recueils publiés : Sténopé (Sol'Air), Angles des Cris Purs (Books on Demand) et Le Résident des Interstices (Sajat). Présent dans les n° 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 20, 21, 23, 24, 26, 28, 29, 30, 33, 34, 39, 43, 50, 51 et 58 de Lichen.

6 commentaires:

  1. Doigts (comme on dit "mine") de rien... c'est fou ce que tes lignes (ces traits) me causent : me racontent et me font un effet que je ne vais, car ne veux pas, analyser (en serais-je capable). Alors voilà, laisser agir, que ça diffuse. Et bravo à toi.

    RépondreSupprimer
  2. C'est très drôle ! Trop fort, le gars :-)))

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. ERIC CUISSARD7 mai 2021 à 08:18

      Toi qui invites les sauterelles à manger dans ton assiette, il ne serait pas surprenant que tu aies été éleveuse d'un grand troupeau de sauterelles à trompes quelque part en Afrique.

      Supprimer
  3. ERIC CUISSARD5 mai 2021 à 09:55

    Bonjour Clément.Je ne sais pas bien d'où me vient ce type de texte.(Tu sais comme disent les gens:"mais où va t'il chercher tout cela.")Tout cela,justement, Les grottes préhistoriques, les peintures pariétales, les croyances, les origines, l'art, la continuité,la critique, le regard condescendant des contemporains sur le passé, tout cela s'entremêle pour produire une saynète qui, me semble-t-il,nous relie à la Terre la plus glaiseuse et nous propulse dans l'Univers infini.

    RépondreSupprimer
  4. Trompons nous les uns les autres.
    Merci pour la gaité de la langue et cet impeccable troupeau.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. ERIC CUISSARD7 mai 2021 à 08:23

      Bonjour Isabelle, heureux de vous avoir fait sourire.

      Supprimer