Entretien avec un poète

par Nadège Cheref

 

 

 

 

 

Marcel Camill' 

  

 

Photo Laurence Holvoet


 

C'est un vrai bonheur pour moi de vous présenter Marcel Camill', poète et orateur de talent. Sa plume est puissante et lumineuse, tout comme son sourire et sa générosité. Je vous laisse donc découvrir ce beau poète...

 

 

Présentation (rédigée par le poète)

 

Né à Brazzaville en 1984, Marcel CAMILL’ est un poète Congolais expatrié en France. Il vit à Montpellier où sa vie est une exploration de différents parcours. Il est auteur de plusieurs recueils poétiques, mais il est également libraire, éditeur, animateur périscolaire, slameur. Certains de ses textes ont reçu quelques distinctions, à savoir le 3e lauréat du Prix Charles Trenet des Mille Poètes en Méditerranée, le Prix Aimé Césaire de la Société des poètes Français.

 

Entretien 

 

Nadège Cheref : Cher Marcel, ton intérêt et ton amour pour la poésie ont commencé dès ton enfance au Congo. Te souviens-tu de ton premier poème ? Ou du moins te souviens-tu de ce que tu aimais raconter ? Pourquoi d’après toi as-tu pris du plaisir à écrire de la poésie ?

Marcel Camill' : Bonjour Nadège. J’ai écrit mon premier poème à l’âge de 9 ans. C’était une imitation du texte « le Pélican » de Robert Desnos. J’avais pourtant appris des poèmes en classe de CP mais c’est la première fois que je prenais conscience du genre et ses différents styles. Ma première composition s’intitulait la transformation du canard. Un texte dont j’ai honte aujourd’hui, mais que mon père a conservé longtemps. J’ai un rapport très particulier avec la poésie car elle m’a apprivoisé dans un contexte de violence et de guerre civile au Congo Brazzaville. J’étais réfugié à la campagne avec une partie de ma famille, la vie citadine était loin derrière nous. J’étais fasciné par cet autre univers avec ses sons et ses codes dans lequel je devais apprendre à évoluer. Pas d’électricité, le coucher de soleil brutal et le changement de faune diurne à nocturne, le ciel gourmand d’étoiles le soir, les forêts galeries, le village bâti dans l’argile les bruits rythmés des femmes et des jeunes à la rivière pour la baignade et la lessive. La poésie est née dans une sorte de bulle au milieu de la mort.

N.C :  J’aimerais savoir si la poésie est présente dans l’univers congolais et si tu peux nous citer un poète congolais que tu apprécies et pourquoi ?
 

M.C : La poésie est intimement liée à l’histoire et au quotidien du Congo comme un peu partout en Afrique d’ailleurs. Beaucoup d’écrivains se sont engagés en politique avec cet idéal d’une société postcoloniale libre et développée. Au milieu des années soixante, elle a nourri les chants révolutionnaires, milité pour la cohésion de la jeunesse face au danger de l’ethnicisme ou le tribalisme. Personnellement je suis très sensible aux écrits de l’auteur Tchicaya U Tam’si. J’aime cette saveur mystique et de révolte grouillante qui s’en dégage. On comprend très vite pourquoi à un moment donné il a été la plume de Patrice Lumumba.    

N.C : On ne sort pas indemne de ta poésie. Elle marque par sa beauté, sa lucidité et sa puissance. J’ai eu le plaisir de t’écouter et c’est un vrai bonheur d’être aussi captivée par ton interprétation, par tes mots et ta générosité. L’oral fait évidemment partie intégrante de ta poésie. Y a t-il un lien avec l’importance de l’oralité africaine dans la transmission des histoires ? Ou est-ce le lien que tu entretiens tout simplement avec ton texte et le public ? Ou peut-être ton affinité pour le slam ou la musique… ?


M.C : Merci, ce que tu me dis me touche vraiment. Enfant j’ai commencé à écrire en période de guerre. Plus tard adulte, j’ai écrit mon premier recueil à la suite du décès de mon père et trois mois après celui de ma meilleure amie. Deux personnes qui me voyaient comme un poète, même si j’avais essayé d’emprunter un autre parcours. J’étais sans papier et donc restreint dans mes déplacements. Ecrire est devenu synonyme de faire son deuil. Essayer de rompre la distance et peut-être inconsciemment redéfinir le temps. Les mots sur le papier étaient la vérité de ma douleur et de mes adieux. Aujourd’hui j’écris en calibrant le texte à ma respiration. Il y a donc une dimension slam et cette volonté induite de porter le texte à l’oralité.

N.C :  Marcel, tu es également le dirigeant de la librairie AU MBONGUI à Montpellier, que tu as fondée, spécialisée dans la littérature africaine. Tu y organises des rencontres littéraires, des scènes ouvertes, des ateliers… Peux-tu nous parler de ta librairie et de ce qui s’y passe ?
 

M.C : J’ai créé la librairie Au mbongui en 2021 après avoir fait une reconversion professionnelle, formé par l’ancien INFL devenu aujourd’hui l’école de la librairie à Maisons-Alfort. Je venais d’être régularisé pour mon titre de séjour. J’avais besoin de me réinsérer socialement, même si l’auteur commençait déjà à trouver une certaine place. C’est un projet qui a pris son temps avant de se concrétiser en décembre 2024 en ouvrant un tout petit local près du centre-ville. Le nom de la librairie vient du mot MBONGUI, qui est une forme d’agora au Congo. Parce que traditionnellement au Congo et en Afrique la première approche pour résoudre un différend a toujours été le dialogue : avec son voisin, son cousin, l’ami, l’étranger… l’exclusion et la guerre n’intervenant qu’en dernier recours. La librairie Au mbongui est le lieu de dialogue des littératures et des auteurs qui les portent. Ce n’est pas une librairie spécialisée, mais une librairie généraliste à identité africaine qui permet de rencontrer des auteurs établis, des maisons d’édition indépendantes de tous horizons et des auteurs autoédités de qualité, ayant moi-même été discriminé à un moment donné comme auteur autoédité alors que j’avais été publié par une « petite » maison d’édition suite à mes prix littéraires.    

N.C :  Imaginons… Qu’aimerais-tu que l’on dise de ta poésie dans vingt ans ?
 

M.C : Aujourd’hui vingt ans ça passe très vite. J’ai plusieurs fois eu la surprise d’entendre des interprétations différentes de mes textes d’un lecteur à une autre. Quand on écrit les premières fois et que l’on essaye de se projeter sur le devenir de nos textes, l’on peut se demander qui va me lire ? Je considère ma poésie comme une bouteille à la mer. J’essaye d’établir un dialogue avec cet autre moi, à l’autre bout de la planète qui trouvera peut-être des éléments de réponse à ce qu’il vit et expérimente dans son temps à lui ou à elle. 

N.C : Enfin, c’est ma dernière question, quelle serait ta définition de la poésie ? Tu peux y répondre par un poème si tu le désires.

  

  • En passant - 

Aux aurores secrètes et envoûtantes
j’étais allé puiser de l’eau à la source

Sur le chemin le temps passa
tout près de moi en me bousculant

Je l’ai appelé
alors qu’il s’éloignait en dessinant son chemin
hâtif et sinueux

Mais jamais il ne s’est retourné

J’ai suivi ses pas
car il n’avait rien vu du cahot dans son sillage
mais moi le temps je l’avais vu
reluqué
en long et en travers

L’essentiel était tombé de sa poche
juste à mes pieds

Je l’ai ramassé
l’essentiel
disséminé comme une pluie
lactée d’étoiles et de providences

Le bougre je ne le savais guère
si étourdi
le temps
étourdi à courir
courir et offrir un présent
et sans le voir et sans compter


Alors demain je retournerai à la source

Peut-être à nouveau le recroiserai-je
cet étrange ami
lointain et désopilant

Le temps.

 

 

Poèmes de Marcel Camill' 


 

 

...AU TRAVERS D'UN MÉAT DE PARADOXE

 

 

 

Mon âme                                              héraut

mon lit                                                  de mon étincelle

mon fleuve                                           primordiale

flotte ma peau

mon corps                                           Ma peau

de foudre                                             ma sphère

ma sphère                                           mon corps

mon étoile                                            mon étoile

                                                            petit œuf

                                                            aux élytres

                                                            fugaces 


Moi                                                     

avec ces jambes

qui fondent                                         Amalgame de vies

dans mes enfers

                                                           Toutes ces nervures 

                                                           qui courent

Mon passé                                         de la chair à l'esprit

danse du ventre                                 grésillant

ou ressac

volage                                                Sentiers clandestins

                                                           Sous une broussaille

Ah !                                                    de non sens

Ce colporteur 

dandy !                                              De mon monde

                                                          j'ai fait

Bouquets                                           un songe

de phanères étincelants

insufflant

dans une crevasse

des tergiversations

un filon de mémoire 

 

* 

 

 ...JE CROISAI TON PEUPLE...

 

 

La terre le bois et l'acier

se mirent à danser

sur une brise

accordée aux battements d'ailes

 

                et le soupir léger

                des séraphins

 

Je rencontrai ton peuple

au dessus d'un sein

océan

fractal de feu et d'eau

 

Mon cœur

dans la paume transcendée

de cette Reine

 

Innocence des Dieux 

nommée

 

Beauté... 

 

 

 

Bibliographie


FragmenT'erre - recueil de nouvelles (2024)
Cantates du soir et petits pieds ginkgo (2020)
Écrits noirs … Encre rouge (2019)
Contes et fleurettes ou les sornettes d’une trique en liesse (2016)
De l’encre sous les gravats (2014)


Ouvrages collectifs


Anthologie des Voix de l’extrême - L’éphémère (2022)
Anthologie des Voix de l’extrême - Désir de femme libre (2021)
Anthologie des Voix de l’extrême - Le courage (2020)
Anthologie des Mille Poètes en Méditerranée (2017)
Anthologie des Mille Poètes en Méditerranée (2016) 

 

 

Photo Gary Levilain


 







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