Cécile Carbonel & Alexandre Pierrepont


Dans les rues ruineuses de vie (extraits)

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Place de la République, au centre. Une femme est là. Son âge. Canonique. D'ailleurs elle porte un bonnet phrygien. Elle a une canne, qui la soutient et qu'elle brandit. Elle crie. Une voix de crécelle.
« Alors on va où ? » Elle veut marcher, elle veut en découdre.
En la voyant, agile il descend de la statue et s'approche d'elle. S'agenouille.
« Madame, vous avez vu, moi j'suis jeune, j'ai aucun mérite finalement à être là, mes genoux vont bien. Mais vous, là ! Avec votre bonnet de la révolution et votre canne, vous pouvez à peine marcher et vous êtes là avec nous. Vous êtes trop belle, Madame. »

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Réunification. Quai de Seine. Le cortège parti de la place de la République, divisé, reformé plusieurs fois, se dirige vers l'Ouest.
Au milieu, elle se met sur la pointe des pieds, puis monte sur ce qu'elle trouve pour être sûre de sa vision. Au fond là-bas, un essaim, un autre cortège arrive, la rencontre est joyeuse. Ça crie, ça chante, ça s'émeut, le désordre a rassemblé.

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Il a une trentaine d'années, les yeux exorbités, le verbe violent, l'insulte facile. Il exhorte les manifestants à user de la violence. Eux, ils ont entre 60 et 70 ans et reçoivent en pleine lucarne son agressivité et sa fougue. Ils l'écoutent, évitent les coups et entendent ce qui vient de plus loin : la peur, la déception, les rêves aussi.
Puis l'un d'eux prend la parole, calmement, très doucement même, et lui dit que la semaine dernière, il s'est fait coffrer. Et qu'aujourd'hui, il aimerait éviter. Le second met une main sur l'épaule de l’énervé : « Tu veux un morceau de mon sandwich ? » Et s'ils continuaient la manifestation tous les trois ? 
Oui oui, c'est ce qu'ils vont faire.



Cécile Carbonel, comédienne, est aussi « promeneuse infatigable, diseuse de bonnes aventures ».
Alexandre Pierrepont se définit comme « anthropologue, activiste, diseur de bonnes aventures ».
C'est leur première apparition dans LichenDans les rues ruineuses de vie, dont sont extraits ces passages, est une sorte de reportage poétique en cours de publication.

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