Béatrice Pailler

 

Dérive au temps

Désir comblé du songe

 

Silence d’eaux conversant où le ciel à corps d’étang est de chair et de lumière. L’écume des ailes bat l’envol où l’oiseau glisse, d’un firmament à l’autre, d’une onde à l’autre. L’infini brassé et ses bleus, fuyant de miroir en miroir, poussent au vertige.

Adossé à l’arbre, l’horizon piégé. 

Tête-à-queue, le monde inversé. 

 

C’est au drap des nues bleuies d’ombre, celle d’une chevelure embrassant l’onde, celle des saules baignant l’enfance, qu’Ophélie renonce. Blancheurs en prière, les nénuphars à ses joues ont l’étoffe du sommeil. 

C’est au miroir du crépuscule, prémices nocturnes d’or et de sang, ciel figé de son désir, que Narcisse, s’abîmant en lui-même, oublie le monde et ses visages. Silence et or, l’onde l’appelle. Sang et reflets, l’onde l’habite ; le voici chair de son rêve.

 

Le ciel tout entier est un fruit : écorce bleue aux remous verts. L’onde toute entière est de chair : peau d’algue sur gorge d’ardoise. 

Elle et lui se mêlent, confondus aux feuillages, en ocelles d’or et poussière d’eau. La lumière en suspens tremble aux tissages des lierres où l’œil en écrin cueille le songe. 

 

Étang à corps de ciel, nul souffle mais sa peau ondoie d’une impalpable caresse ; c’est Narcisse courbant tête au passage d’Ophélie, corolle à ses lèvres seules. 

 

 




Rémoise, Béatrice Pailler a exercé à Reims pendant vingt ans le métier de libraire. Elle se consacre maintenant uniquement à l’écriture en alternant prose et poésie. En 2015, la Société des poètes français récompense du prix « Jean Giono » (prix du manuscrit de prose poétique) son recueil L’heure métisse. Elle a publié à ce jour cinq recueils (le dernier, Sacre, en mai 2019 aux éditions Racine & Icare) et participe aux revues Souffles, Traversées, Décharge, Levure Littéraire, Le Capital des Mots, Les Amis de L’Ardenne, À l’index et ArpaPrésente dans les n° 29, 31, 33, 34, 35, 37, 39, 40, 42, 44, 45, 53, 54, 55, 56 et 62 de Lichen.

2 commentaires:

  1. Hugo dit quelque part: "Un mythe à la face humaine tellement plastique qu'il vous regarde, et que son regard est un miroir." Le miroir est présent dans votre texte en mots et en images. Je souhaite cependant que l'étang ne vous attire point trop, sauf si c'est pour y séduire Narcisse.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Béatrice Pailler3 août 2021 à 07:24

      Le Narcisse des poètes, odorant et plein de charme. Merci Eric, très bonne journée. B.

      Supprimer