Télégrammes

 

1) par Gérard Cousin

 

Pour Kiev

 

« Tous les hommes aiment avant tout la lumière, ils ont inventé le feu. »

(Guillaume Apollinaire)

 

Elle va au jardin.

Elle mène son chemin.

Elle encourage la haie de ronces affairée à mûrir.

Elle contourne la fourche gagnée d’oubli.

Elle offre parole à l’escargot

fier de sa rosace.

Elle salue les ardoises de la remise

et leurs MMS de lumière.

Elle ramasse une feuille,

un caillou adouci de pluies,

une coquille vide,

des miettes de mémoire,

la poussière du temps.

Elle nomme l’eau pure

pour l’oubli des blessures.

Elle tente de déchiffrer les signes

qui la sauveront une journée encore

Par-delà les murailles de la Laure,

la forêt crépite d’étoiles d'acier.

 

NB : Le monastère de La Laure est, près de Kiev, le berceau historique de toute la chrétienté orthodoxe. Je me suis mis dans la peau d'une Ukrainienne âgée qui voit s'avancer l'armée de Poutine, cherche dans son quotidien quelques signes simples pour se rassurer « qui la sauveront une journée encore ». Malheureusement, plus loin que les murailles qui entourent le lieu saint, elle ne voit que les étoiles d'acier générées par les bombardements. 

 

En poésie depuis 1976, Gérard Cousin a publié quelques recueils, participé à diverses revues (dont NardEstracelleHorizons 21RétroviseurLieux d'ÊtreFeuilles du poémier, les Cahiers Froissart et La toile de l'un) et plusieurs anthologies. Il fut, pendant huit ans, administrateur de la Maison de la Poésie Nord-Pas-de-Calais. Avec l'association « Lieux d'Être », il participa à de nombreux spectacles poésie-musique, ateliers d'écriture et expositions de 1978 à 2016. Présent dans les n° 61, 64, 65 et 66 de Lichen.

 

 

 

2) par Corinne Delarmor

 

Paix !

 

Ciel corbeau,

Soleil meurtri,

Terre sang,

Eaux vannes,

Vie avortée,

Aile brisée,

Silence annihilé,

Respiration coupée,

Amour détruit…

 

Un seul mot,

Un seul espoir,

Une seule prière,

Un seul chant,

Un seul devoir,

PAIX !

 

Juriste, Corinne Delarmor a 55 ans et demeure au Perreux-sur-Marne. Ses deux précédents recueils Embruns et Nouvelle Terre ont été édités chez Ethen (en 2019 et 2021). Elle donne des lectures de poésie dans le cadre d'après-midi poétiques, notamment dans les maisons de retraite, à la Maison nationale des artistes et dans des médiathèques. Sociétaire des Poètes Français, elle est publiée dans les revues de poésie Orientales, le Pan Poétique des Muses. C'est sa première apparition dans Lichen.

 



3) par BMB

 

Venise


Tant qu’il est encore temps de se laisser prendre

au miroitement turquoise de la ville lépreuse

Crois ! …à l’éternité de cette rêveuse assoupie

pendant que le flux montant noie les degrés

et que l’hiver nucléaire vient qui tout noircit

Pourquoi Alep, Odessa, pourquoi pas la cité

dont chacun voudrait faire sanctuaire de ses soupirs ?

Pour la dernière fois peut être ignore !

… que chaque jour la trame des hideux nous occit

 

Le demi-siècle écoulé avait un an quand Bruno Bartholomé (alias BMB)  vit le jour dans un foyer tapissé de livres. Il a fait éditer en 2016, à compte d’auteur, un premier recueil de poèmes illustré de photographies originales, L’habit troué de rêves. L'un des poèmes de son second recueil, Des mots sillons, a été publié dans la revue Décharge (n° 178, 2018). Présent dans les n° 39, 40, 41, 44, 45, 46, 54 55, 56, 57, 64, 66 et 67 de Lichen.

 



4) par Susanne Derève

 

L’aile d’ombre du vautour 

 

Ce qu’ils disent,

la poussière des mots qu’ils te lancent,

n’est pas fait pour que tu l’entendes.

C’est la poudre à canon des marchands de sommeil

et tu dors 

plus sûrement qu’au premier soleil

le lézard sur les pierres. 

 

Écoute,

de ton oreille posée tout contre le sol gelé, 

trembler le galop de leurs chevaux                                                                                         

barbares,

le roulement des tanks,

 

dans les rues noircies de l’enfance

d’où jaillissaient de si tendres soleils,

le cliquetis du fer,

l’éclat rouge des armes, 

et déjà, l’aile d’ombre du vautour. 

 

Venue tard à la poésie, Susanne Derève vit depuis 35 ans à Brest, sa première source d’inspiration. Elle partage le blog de poésie « Art et Tique et pique-Mots et gammes » avec le peintre et poète René Chabrière depuis 2018. Une publication dans Tarmac en 2019, une à venir dans Cabaret en juillet 2022. C'est sa première apparition dans Lichen.

 


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