De Jean-Paul Gavard-Perret
Si je me dépêche pourrais-je me rattraper ?
Ils mettent la main dans ma mare, sous mes rochers. Certains ont des doutes : "Ne suis-je pas assez dedans pour agir comme font les autres ?" Je leur dis que la route du plaisir est jalonnée de barrières. Ils viennent d'en franchir une. C'est un peu d'eau vive dans leur marée pour ne pas la détruire. Et un peu d'eau salée contre les larmes et pour la vie. Je deviens congre incongru, anguille de mère. Du bout des lèvres ils peuvent happer la lune. Les plus doux la laissent fondre sous la langue avant de manger ma nuit. Je n'oublie pas de recracher les étoiles. Je crois que de nouveaux dieux barbares marqueront nos lèvres d'une sève profane. Alors je deviens la sirène qui se coule dans le courant d'une non réalité. Mon sourire s'étire comme un chat à l'œil bleu.
Certains sont accrochés à ma nuit pour cultiver leur perte. L’érection fertilise l’âme androgyne dérègle les lois de sa puissance. La lune au poing ils appellent en vain aux orages en nommant les étoiles de noms orduriers. Leur joie est à ce prix. Leur désillusion aussi. Je deviens soluble dans leurs larves là où ma vie se creuse. Ils m’habitent comme un vide grenier où mes fauves demeurent tapis.
Entre le chien et la louve les lèvres et le baiser contusionnent la chair. Le symbole féminin n’a pas toujours la part belle : il ne peut imposer à l’homme la turgescence cachée de son point G. Pour la plupart d’entre eux l’anatomie des voluptés féminine est compliquée. Leur toucher ne l'épuise pas. Ce qui reste dressé pénètre ta terre sans la relever. Ils font tout ce qu’ils aiment et me laissent tomber.
Descendant de ta cachette : à la Libération certains t’auraient exhibée et rasée mais nous te savions non seulement innocente mais fée en habits de gala quand tu chantais "je suis un de vos rêves, votre inconnue, votre conteuse et votre jonglerie ». Parfois ton récital est si long que tu deviens fatiguée. Mais pour nous consoler tu murmures : « quand je vous dis que je suis lasse, c’est une façon de parler ». Tu laisses distribuer quelques baisers FMR en suggérant de ton creux une baie. Grincesse, tes princes tu sais les envoler dans un buisson de brume.
Genoux largement ouverts, tu renverses la tête. Et le pollen s’approche de ta lune rousse. Vacillent les lois écrites et naturelles. Et toi de déclarer : « Tu as préparé tes bras mais tu ne peux la rattraper si je tombe ». Mais je réponds : « Je t’aime plus que mon âme ». La lune bouge sa roue. L’étoile suit son chemin entre seins délectables et vallées secrètes. Reste une sphère de clarté. Mais tu restes le courant marin, la victuaille de son propre festin, le bouclier dans sa bataille et la corde d’une harpe qui éponge le feu.
Jean-Paul Gavard-Perret est écrivain et critique d’art contemporain (24 heures, Huffington Post, L'Oeil de la Photographie, Le Littéraire, Turbulence Vidéo, Esprit, etc.). Il a publié un grand nombre de livres : poésie, textes courts, essais sur l'art et la littérature du temps. C'est sa première apparition dans Lichen.
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