Font
de Gaume
c’est
comme dormir comme un sentier en pente dans la roche au matin le
froid le souvenir d’une rivière la marche et le chemin un temps
une pause un silence le souffle repris le corps perd quelques degrés
et entre dans la falaise avance dans le noir les yeux fermés et
demeure là pour des éternités — le corps et la pensée dedans
gigote — c’est comme le dessin d’une trace dans la pierre les
accidents de la roche un ovale et deux points n’être que cela —
que puis-je vous dire — je suis la voix d’un corps visible et
voyant et ma voix vous regarde au milieu de vous comment circuler
passe la main la surface écoute respirer la pierre et les couleurs
dessine trace sans trembler ton image à peine la taille d’une
paume un paysage une ligne en cinq temps courbe monte puis descend
cédille trois points le premier visage comme une ponctuation dans un
mur un regard de milliers d’années jeté à ta face c’est une
recomposition du paysage mon image se déplace où il faudrait opérer
ce montage montrer le mouvement dans la main de celui qui me tient
entre deux formes dans un intervalle tremblant ici j’existe dans
quelle scène dans quelle altération dans quelle relation je suis
une opération entre tes doigts qui soutiennent ton regard j’apparais
je suis une scène qui construit ton visible j’apparais je dis le
monde n’est pas comme il est n’est pas le récit contraint
habitons entre quelle image absente attendons-nous dans la galerie on
devrait se tenir là sans rien demander cent vingt mètres depuis
l’entrée le couloir des noirs et des rouges étroit et haut glisse
entre deux parois de visages modelés par les flux la galerie le
boyau le passage vers où c’est comme le ventre de la baleine la
piste points tirets croix jusqu’à la fente à ce lieu de notre
naissance ce ventre ma hutte ruisselante lessivée c’est une
avancée sur un sol imaginaire à hauteur d’yeux le fantôme d’un
enfant inscrit dans la pierre regarde et c’est presque rien qui
remue ton âme
Philippe
Labaune
vit et travaille à Lyon. Metteur en scène, il a fréquenté nombre
de poètes : Rilke, Pessoa, Collobert, Zürn, Gleize, Prigent,
Dubost, mais aussi les textes de la jeune génération de
dramaturges : Roche, Mougel, Gallet. Il défend un « théâtre
de poésie » qui ferait la part belle à la perception sensible
et inconsciente, à la musique de la langue. L’écriture émerge
aujourd’hui comme une rivière souterraine qui atteindrait le jour
après tant d’années de travail invisible. Ce texte appartient à
un ensemble encore inédit, Panoptikon.
Présent dans les n° 28, 29, 36, 37 et 43 de Lichen.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire