Note de lecture

 
de Didier Gambert
 
 
 
Laurent Margantin, Les Sentiers du chaos, éditions Tarmac, janvier 2025, 82 p., 15€.


     Laurent Margantin a fait paraître à l’automne 2024 le premier numéro d’une Revue de géopoétique, revue annuelle que les éditions Tarmac accueilleront désormais, pour les numéros à venir. Cette publication place Laurent Margantin dans le sillage de l’œuvre de Kenneth White à qui on doit la notion de géopoétique. Ne nous y méprenons toutefois pas : sillage signifie liberté, compagnonnage. Laurent Margantin est également fin connaisseur de la langue et de la culture allemande : il est spécialiste de Hölderlin, de Novalis, des romantiques allemands et très familier de l’œuvre de Peter Handke dont il a fait paraître récemment une traduction aux éditions Verdier.

      Les Sentiers du chaos est un ensemble poétique composé de longs textes filiformes : on entend par là que le vers adopté, libre toujours, est un vers court : les poèmes se lisent donc dans leur verticalité. Parfois il arrive que le même poème occupe les deux marges de la page, laissant, au centre, un espace vide.
     Laurent Margantin y adopte une écriture simple : les poèmes se lisent comme de petits récits, extraits minuscules (ou gros plans) de moments de vie, de souvenirs, d’expériences, de moments perdues. Les « sentiers du chaos » sont peut être alors, à mi-chemin du biographique et du géographique (ne touchons-nous pas là à la géopoétique ?), ceux, mystérieux, qu’il nous faut parcourir afin de parvenir à ce que nous sommes, fruit du hasard et de la nécessité, en quelque sorte.
     Cela peut sembler clair au lecteur dès le début : l’auteur place en épigraphe deux extraits, l’un de Novalis, l’autre de Friedrich Hölderlin, qui sont censés donner le la de l’ouvrage, si l’on peut dire. Novalis écrit en effet : L’homme est le véritable chaos. Quant à Hölderlin : Nous parcourons tous une orbite excentrique, et il n’est pas d’autre chemin possible de l’enfance à l’accomplissement. Le propos, dans cet ouvrage, tend par conséquent à l’universel.

     Il le fait à partir de choses simples. Des lieux : la forêt de Marie Longue, la Savoie, Mala Strana, la forêt du brûlé, Sindelfingen, etc. Les sentiers du chaos parcourent le monde, celui sans doute où l’auteur a vécu, tant l’expérience poétique colle à la peau de qui s’y livre, en quelque sorte. Ainsi, l’Allemagne, bien sûr, mais aussi la Tchécoslovaquie d’avant la partition en deux entités distinctes, la France (pays de l’origine), mais aussi destinations exotiques, certains lieux de La Réunion.

     La poésie de Laurent Margantin, d’une grande simplicité lexicale, prend appui sur le substrat naturel, fondamental. Le premier poème (Dans la forêt de Mare-longue) commence ainsi : « étrange gymnastique / du bois de rempart / aux racines si puissantes / qu’elles se dressent sur le sol pétrifié / et soulèvent le tronc comme une danseuse » (p. 5). Quelques vers plus loin : « le songe du chemin / celui qui se met en chemin rêve / le rêve est rouge // la lave noire / émet une lumière froide / venue d’un autre univers » (id.). Le lecteur peut voir le paysage s’animer, vivre ; surgi du sol, l’arbre se met à danser, immobile.
     « Le chemin des invisibles » (poème 2, p. 9-14) présente au lecteur un ensemble de souvenirs : après le substrat bien terrestre, terre et lave solidifiée, la galerie des ancêtres, qui plongent dans le temps, se sont invisibilisés, ont disparu. Ils constituent cependant l’origine de chacun, si labile en réalité. Il s’agit alors de sonder ce qui reste de ces êtres qui ont précédé nos existences, ou les ont accompagnées un temps avant de disparaître. On voit là apparaître des noms, des lieux, des régions de France, l’époque des années soixante-dix, contemporaines des premières années de l’auteur. Ces gens-là, qui constituent peut-être le roman familial de l’auteur ont aussi pour caractéristiques de donner à rêver de l’ailleurs d’où ils viennent, ou dont ils parlent. Histoire de famille encore avec le poème de « L’encrier et la boîte à musique », deux objets ayant appartenu aux grands parents, amoureusement décrits, mais ayant perdu toute fonction.
     On devine donc que l’ouvrage est porteur d’une profonde dimension biographique ou autobiographique. Certains événements traumatiques surgissent parfois, comme l’« Histoire du garçon qui pousse des chats dans le vide », de son épouse malheureuse, et abandonnée… L’être humain se construit à partir de ce chaos, chaos du monde, chaos des êtres et de leurs destins.

     Le poème « Chimie du vivant » (p. 59-61), associant la poésie à l’évocation d’hommes de science nommés David Deamer et Bruce Damer, donne peut-être la clé (une clé possible, peut-être une fausse clé) du recueil. Le discours scientifique sur l’origine biochimique de la vie conduit, via Hölderlin ( Deux savants errant / « en sainte sauvageté »/ (Hölderlin) et qui, / évoquant l’apparition / de la vie, finissent par / parler comme des / poètres) à l’écriture poétique :
 
 

Poétique  du  vivant :
comment faire naitre
des   mots   vivants,
poétiques loin de tous
les bavardages. Chimie
de l’écriture  poétique.
d’échec en échec, puis,
tout à coup, la solution
    - le poème.
 
 

     Rien d’autoréférencé ici : Les sentiers du chaos n’est pas un ouvrage sur la poésie, peut-être sur la façon dont on naît, devient poète, c’est-à-dire et avant tout habitant terrestre, traversé par les émotions, les sensations, les découvertes, les choses.






Né en 1963, Didier Gambert est spécialiste de littérature du XVIIIe (thèse soutenue en 2008, publiée en 2012 chez Champion) et a publié quelques ouvrages dans ce domaine. Il a d’abord pratiqué l’écriture poétique de manière intermittente, puis de façon très régulière ces dernières années. Certains de ses textes ont illustré une exposition de photographies de Bérénice Delvert, intitulée Métaphysique de l’Océan (La Grange aux arts, Champniers, près d’Angoulême). Présent, en tant que poète, dans les  n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 59, 60, 61 et 62 et en tant que critique dans les n° 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 70, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 103 et 106 de Lichen.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire