de Didier Gambert
Olivier Souillard, Tentatives de flottement, éditions Tarmac, septembre 2025, 78 p., 15€.
Olivier Souillard vient de faire paraître un premier recueil de poésie aux éditions Tarmac. Ce qui frappe en premier lieu, c’est l’extraordinaire « légèreté » du texte, au sens où le poète ne donne pas l’impression de se payer de mots. Au contraire, on peut dire qu’il va en quelque sorte à l’essentiel, c’est-à-dire à une façon de dire, ou de suggérer avec une remarquable économie de moyens.
Le poème liminaire donnera une idée de ce que l’on entend ici par légèreté : « J’ai vu le vent me soulever / me raconter un nouveau lieu // pour oublier la mort /// Mon déni est joyeux »
On comprend qu’il est ici question d’humaine condition, de finitude, peut-être même de finitude à regret. Le poète aspire, semble-t-il, à quelque chose qui serait d’une légèreté de feuille morte, si on peut le dire ainsi. Le dernier vers, nettement détaché du reste, emploie un terme désormais entré dans l’usage courant, à l’oral : « Mon déni est joyeux ». Olivier Souillard veut-il nous enseigner une forme de gai savoir (d’autres s’y sont essayé) ? une façon d’apprivoiser la mort ?
Quoi qu’il en soit, on a l’impression que le poète tient le monde à distance, en quelque sorte, qu’il s’agisse de l’ici-là, ou de ses représentations fantasmatiques : « Là où je veux être // dans ce monde / ces rires // je m’éloigne // Incapable de toucher la joie de près », et encore, à la page suivante : « Là-bas / ce pays se révèle // Et moi je l’imagine / sans le sentir // J’habite seulement mes pensées / et passe à côté de l’ailleurs ».
Le poète n’est donc ni d’ici, ni d’ailleurs : il trempe un peu dans les deux, mais vit surtout dans l’étirement de l’entre-deux. Ni ici, ni ailleurs, dans l’ici et là : il semble que pour Olivier Souillard le poète n’a ni feu ni lieu. Peut-être faut-il y voir comme un infirmité, de celles que la poésie se charge de mettre en scène sur son petit théâtre de mots.
Le poète est ainsi celui nous dit : « J’ai voulu m’effacer / m’oublier dans le blanc » ; il est aussi celui qui se présente, ce qui n’a rien d’original en fin de compte, comme « Seul / parmi les autres » ; plus loin, il se dira « Seul //// Heureux dans la brume ». Autant dire dans le flou, la seule permanence, dans ce cas, étant celle du « je » que remplit de bonheur (heureux) la sensation de son existence…
Si certains poètes écrivent ce que l’on a coutume, en faisant référence à Joyce, de nommer des épiphanies, c’est-à-dire des textes dans lesquels le scripteur cherche à restituer une certaine vérité de sensations et multiplie les évocations concrètes (tel lieu, telle sensation, telle émotion), il n’en va pas de même avec Olivier Souillard qui donne l’impression, en ce qui le concerne, d’aspirer à une épuration totale de la sensation vécue, à un forme d’abstraction de celle-ci : « Deviner ce qui rapproche / derrière les portes // Dans l’ombre des paroles / un rire fuse // L’intime résonne / dans ce son qui ressemble à un geste // Ma voix se mélange à celle/ des autres // Mon pas cherche ce qui m’apaise ».
Certes, on retrouve là ce qui est devenu un marqueur de la poésie contemporaine lorsqu’elle cherche à abolir le « je », à savoir l’emploi de l’infinitif. Toutefois, en ce qui concerne Olivier Souillard, qui n’en abuse pas par ailleurs, ce refus momentané du « je » semble cohérent avec l’ensemble de la démarche qui semble viser à une forme d’abstraction. En témoignent des mots tels que « ce qui » (deux fois), « un rire », « l’intime » … En fin de compte le poète parvient à suggérer en donnant l’impression d’approfondir du vide : « Le vide / le plein // ou se sentir bien // surement entre les deux // dans l’air qui rapproche les opposés ». Là encore, Olivier Souillard nous donne l’impression de composer de la poésie, et de la poésie qui fonctionne, à partir d’éléments extrêmement ténus, qu’il s’est donné pour mission d’élucider.
Pour finir, le poète semble également mener une sorte de quête, qui n’est peut-être pas si solipsiste que cela, dans la mesure où la figure de l’autre ne semble pas le laisser indifférent : « Attendre //// un échange // Pour faire vibrer le temps // Allumer / une étincelle dans le ciel // // Tout le reste n’existe pas ».
La poésie d’Olivier Souillard, dans Tentatives de flottement, est donc de celles qui procurent à leur lecteur, un petit ébranlement de l’âme (on acceptera un instant, même sans y croire, l’hypothèse de son existence). Cet ébranlement, sans doute faut-il le nommer poésie.
Il convient maintenant d’en juger par soi-même :
Le plus beau geste
est le prochain
Celui qui arrive de nulle part
soulève nos corps
perce nos nuages
raconte ce qu’on n’est pas encore
Né en 1963, Didier Gambert est spécialiste de littérature du XVIIIe (thèse soutenue en 2008, publiée en 2012 chez Champion) et a publié quelques ouvrages dans ce domaine. Il a d’abord pratiqué l’écriture poétique de manière intermittente, puis de façon très régulière ces dernières années. Certains de ses textes ont illustré une exposition de photographies de Bérénice Delvert, intitulée Métaphysique de l’Océan (La Grange aux arts, Champniers, près d’Angoulême). Présent, en tant que poète, dans les n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 59, 60, 61 et 62 et en tant que critique dans les n° 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 70, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 103, 106, 107, 108, 110, 111, 112 et 113 de Lichen.
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