Note de lecture

  

 

Chronique de Didier Gambert : 

Claudine Bohi, Je cherche un enfant, Les Lieux-Dits, collection Bas de page, 2eme trimestre 2024, NP, 7€. Avec des peintures de Germain Roesz.



C’est un curieux objet poétique que viennent de publier les éditions Les Lieux-Dits : Je cherche un enfant de Claudine Bohi a l’apparence d’un rectangle de papier, un parallélépipède dont les dimensions approximatives sont les suivantes : hauteur : 58 mm, largeur : 204 mm, épaisseur : 8 mm. La collection « Bas de page » se présente bien comme une curiosité bibliophilique.

Chaque page du recueil, à quelques rares exceptions près, donne à lire un monostique, l’ensemble formant un vaste poème qui se complète de page en page, et développe la réflexion de l’autrice, à partir du premier vers, qui se trouve reprendre en partie le titre de l’ouvrage : « je marche dans la neige et je cherche un enfant ». Va-t-on lire une espèce de conte ? S’agit-il d’un enfant égaré ? Qui est-ce « je », maternel ? paternel ? protecteur ? Pour le savoir, il faut poursuivre la lecture.

Très vite, l’autrice nous conduit à penser qu’il va y avoir quelque chose de tragique dans ce bref écrit. Sur le blanc de la neige bien des drames semblent prêts à s’écrire, sans doute en rouge, sang : « les guerres rassemblent leurs petits dans la même douleur » nous dit le poème, dans un vers évoquant comme un étrange et mortuaire nid d’oiseau…
De fait le « je », et c’est la grandeur du « je » poétique, nous introduit, comme par accident, dans les tourmentes de notre présent : le « je cherche un enfant » devient très vite « je cherche un enfant celui ou celle qui dort sous les bombes », « je cherche un enfant qui a peur », « enfants de la terre et de la brûlure d’être trop petits pour le monde »… Et défilent dans l’esprit les images de notre monde en convulsions… Ukraine, Israël, Palestine, Iran, Afghanistan, etc., etc., nos frontières, qui sont autant de pièges mortels pour une partie de ceux qui s’en approchent : « enfants noyés disparus rejetés de vous-mêmes »… « enfants éparpillés dans ce long cauchemar de l’histoire »… guerres du présent, guerres du passé, guerres d’hommes faits. Horreur perpétuelle.

Le poème, s’organise, presque de manière musicale, autour de la reprise anaphorique du mot « enfant », au singulier ou au pluriel. La neige constitue un autre thème, qui revient périodiquement, et se métamorphose. La neige constitue l’élément de base de l’univers des contes, mais elle peut prendre aussi une signification funèbre, figurant alors une sorte de linceul de candeur et d’innocence : « enfants je vous retrouve dans vos larmes gelées….la neige vous recouvre la neige vous murmure … les uns contre les autres si doucement blottis…la blancheur vous convient la blancheur vous ressemble »… Il y a là indéniablement quelque chose du sourire malade du « Dormeur du val »… Ces enfants endormis semblent comme figés dans l’étrange sommeil de la mort.

Les illustrations de Germain Roesz évoquent parfois les couleurs de la neige et de ses nuages, mais ce sont souvent les couleurs de l’enfance, ou celle que l’adulte attribue à cet âge, que l’on voit se déployer : couleurs de l’arc en ciel parfois, formes, taches de couleur. Il s’agit d’une illustration libre, d’un accompagnement chromatique, ou de formes, parfois géométriques, adoucies…
Le lecteur découvrira avec émotion ce petit ouvrage sensible, qui développe avec émotion et retenue des questions que l’actualité rend on ne peut plus cruelles.

 

 

Né en 1963, Didier Gambert est spécialiste de littérature du XVIIIe (thèse soutenue en 2008, publiée en 2012 chez Champion) et a publié quelques ouvrages dans ce domaine. Il a d’abord pratiqué l’écriture poétique de manière intermittente, puis de façon très régulière ces dernières années. Certains de ses textes ont illustré une exposition de photographies de Bérénice Delvert, intitulée Métaphysique de l’Océan (La Grange aux arts, Champniers, près d’Angoulême). Présent, en tant que poète, dans les  n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 59, 60, 61 et 62 et en tant que critique dans les n° 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 70, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94 et 95 de Lichen.


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