Note de lecture

 

Didier Gambert a lu Où va la poésie ?, de Germain Roesz (Vibrations éditions, 2021, 152 p., 17 €).

 

Avec Où va la poésie, Germain Roesz, qui est poète, artiste plasticien, éditeur et universitaire, propose une réflexion devenue nécessaire dans la mesure où, en ce premier quart du XXIe siècle, la poésie est foisonnante, et, contrairement à ce qui s’écrit souvent, semble rencontrer un public, que celui-ci soit formé de lecteurs ou de lectrices solitaires, mais qu’unit une solidarité secrète, ou bien de toutes celles et ceux (et ce sont souvent les mêmes) qui fréquentent les manifestations ayant la poésie pour objet, et s’en font l’écho. L’auteur résume son questionnement en trois points : « Où va la poésie ? Où est la poésie ? Que fait ou que nous fait la poésie ? » (p. 11).

 

Un des principaux mérites de l’ouvrage, paru sous la caractérisation générique d’essai, est, justement, de poser une série de questions tout en se gardant bien d’apporter à chacune une réponse définitive, qui, dans sa rigidité, ne saurait être que partielle ou erronée tant l’objet sur lequel s’exerce la réflexion de l’auteur est lui-même fuyant, divers, pluriel, ondoyant, aussi varié qu’il y a de poètes ou de poétesses. Germain Roesz entend bien toutefois parler en son nom propre (c’est la marque de l’essai), s’appuyer sur ses goûts et ses admirations, l’une d’elles, majeure sans aucun doute, concernant l’œuvre de Bernard Vargaftig à qui est consacré le premier chapitre. En termes universitaires, on pourrait presque évoquer, à propos du livre qui nous est donné à lire, un « état présent de la poésie contemporaine » vu par un de ses acteurs : « Dans un premier temps je voudrais interroger la légitimité que j’ai (ou que je n’ai pas) pour parler de la poésie. Je suis poète et je suis peintre. Je peux donc éventuellement parler de la peinture que je fais, de la poésie que j’écris et que je dis, etc. » (p. 11).

 

Germain Roesz, en effet, ne manque pas de faire entendre sa voix, et quelques formules fortes jalonnent l’ouvrage dès l’exposé liminaire : « Alors, je veux avancer que la poésie est un des lieux, un des espaces qui ouvrent des mondes, qui, en tous les cas ne les réduisent pas à une définition et à une unique manière de vivre » (p. 16).

 

Une des particularités de l’ouvrage, composé de courts chapitres, souvent consacrés à un auteur ou une autrice, est de faire la part belle aux poétesses qui incarnent de toute évidence un renouveau de la parole poétique. Ainsi, au fil de sa lecture le lecteur (ou la lectrice) rencontrera un certain nombre d’auteurs déjà bien connus de qui s’intéresse à la poésie. Ainsi en va-t-il de Valérie Rouzeau (p. 122 et sq) en particulier, mais on croise également les noms de Brigitte Gyr, Claudine Bohi, Anne Calas, Chantal Dupuy-Dunier, Isabelle Baladine Howald, Anne-Marie Soulier, Jeanine Baude, Nicole Brossard, etc. Notons d’ailleurs que la partition établie artificiellement par nos soins entre poètes et poétesses est en réalité peu opératoire et artificielle, mais a pour objet d’attirer l’attention du lecteur qui ne les connaîtrait pas sur leurs œuvres respectives.

 

C’est également, pour le lecteur, l’occasion de découvrir un foisonnement éditorial accompagnant ce nouvel âge de la poésie.

 

Une des difficultés, lorsque l’on écrit sur la poésie est celle du ton adopté, qui parfois, très inspiré, confine à la mystique. Germain Roesz, en dépit de la ténuité de l’objet sur lequel il réfléchit, évite cet écueil et s’efforce, avec honnêteté, d’approcher le fait poétique. À propos de l’œuvre de Jean-Louis Rambour (Tombeau de Christopher Falzone, L’herbe qui tremble, 2018) il écrit ceci : « J’avais commencé par le lecteur, par cette aventure d’une découverte continue, improbable, par l’attente de ces moments qui retournent, qui nous retournent et nous laissent comme un désir inassouvi, comme une invention au plus profond de nous » (p. 136). La lecture de poésie est vécue sous le mode de l’expérience essentielle, ce qui est une façon de répondre au moins partiellement à la question : « Que nous fait la poésie ? » dans laquelle l’expérience du lecteur est capitale.

 

Il est quasi impossible de résumer le livre de Germain Roesz à la richesse foisonnante, et cette note de lecture ne vaut que comme invitation à le rencontrer dans son écriture. Donnons-lui la parole : « les textes que j’écris en poésie viennent d’une intériorisation du vivre, de la douleur comme expérience que malheureusement je fais depuis longtemps. Les textes viennent de mes engagements artistiques, politiques, de la manière dont je conçois une forme que j’appelle une pensée. C’est pour cela que parfois le texte est murmure, scansion, développement d’une joie soudaine ou vécue, d’une colère, du ressenti d’un climat, d’un vent, d’une tempête, d’une chaleur et d’un froid. Écrire c’est être traversé, se tenir au seuil et accepter de recevoir les ondes venant de toutes parts, mais écrire c’est surtout choisir dans ce tas, dans ce magma pour en extirper quelque chose qui nous grandit » (p. 76). Dans une certaine mesure, ces quelques phrases expriment une poétique, somme toute assez lyrique (le mot n’étant pas pris ici en mauvaise part), mais on s’aperçoit, en lisant l’ouvrage, que Germain Roesz se montre également très attentif au travail de la langue, au rythme qui caractérise toute parole poétique.

 

Pour finir, le lecteur pourra se faire une idée assez précise des auteurs convoqués qui sont abondamment cités.

 

L’ouvrage mérite donc d’être lu, et relu, non seulement parce qu’on s’y mesure à une réflexion complexe et nuancée, exigeante mais qui sait rester modeste dans sa formulation,  mais aussi parce qu’il fournit l’occasion de faire de belles rencontres.

 

Didier Gambert

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