Note de lecture

 

 

Chronique de Didier Gambert : Mathias Lair, Il n’est pas vrai que les pierres soient mortes, Les parallèles croisées, Les Lieux-Dits, 2024, 92 p., 12 €.


On connaît les Stèles de Victor Segalen, magnifique hommage d’un Breton aux pierres dressées de la Chine ; plus récemment, en 2003, Christian Garcin publiait Pierrier à L’Escampette, manifestant l’intérêt qu’il portait à l’univers sédimentaire et métamorphique ; et voilà que Mathias Lair vient de faire paraître aux Lieux-Dits un ouvrage de poésie qu’il intitule Il n’est pas vrai que les pierres soient mortes.

En six parties l’auteur nous donne à connaître l’intérêt, l’amour, le respect qu’il porte au monde faussement muet, car il en est de phonolithiques, des pierres et des rocs, de la plus humble caillasse aux structures les plus majestueuses.


Tout commence par l’expression d’un mécontentement : « Des humains je n’ai pas / Une bonne expérience jeune / Déjà me suis évadé leurs voix / Passaient au-dessus de ma tête l’Histoire / Où j’entrai m’a confirmé l’horreur » (Intro, p. 7). Le poète a d’abord cherché une forme de réconfort auprès des arbres (et le lecteur de Mathias Lair ne pourra pas ne pas penser à Reste la forêt, qu’il a publié il y a quelques années chez Sans Escale), avant d’en venir à quelque chose de plus fondamental, où peut-être transparaissent les traces d’émotions anciennes : « J’avais oublié le goût / Des pierres j’ai retrouvé / À Piriac l’éternel ici / Entre l’eau et l’humus comme / La pierre m’avait porté / J’ai retrouvé la voix/ De mes os » (id., p. 7) : la pierre est ce qui reste, ce qui s’impose, ce sur quoi se construit « l’édifice immense du souvenir », même si elle doit, à la longue, céder à « la patience de l’eau » (p. 21) qui aura raison de sa dureté apparente.


Le poète se fait d’abord collectionneur. La pierre, c’est celle que l’on ramasse, sur une plage, car on l’a remarquée, on a aimé sa forme, sa couleur, l’éblouissement qu’elle nous a procuré : « Sur la plage nimbée / De quel oubli vite / Asséchée je l’ai / Emportée » (p. 11). Qualifiée d’anadyomène – surgie de l’eau, comme Vénus – par le poète qui se souvient sans doute d’un titre de Rimbaud, la pierre est en quelque sorte kidnappée, mais c’est aussitôt pour lui rendre sa dignité, sa majesté première : « De l’ambre ou du copal / Fossiles fondus dans / un solvant issu / Du thérébinthe de la lavande / Aspic je l’enrobe / Pour recouvrer par l’action / Du vernis les couleurs / De l’oubli un instant / Entrevues sur le sable » (p. 12). Et voilà que le poète se fait quasiment alchimiste (sa pierre serait-elle philosophale ?), qui, au moyen d’élixirs et de composés volatils entreprend de recréer l’intensité d’une vision perdue aussitôt qu’entrevue. Tout un chacun a pu faire l’expérience désolante de ce ternissement que le manque d’eau inflige aux pierres les plus belles. Dans le poème suivant, le poète compose ses stèles miniatures, leur donnant assise et élévation.

Il y a là indéniablement un geste « poétique », peut-être même métaphysique : S’agirait-il alors d’une « recherche du temps perdu ? »


Miniature, humble parfois, la pierre peut se faire solennelle, majestueuse, et la référence à Victor Segalen, plus évidente : « Certaines sont gravées / En commémoration Ramsès conte / Ses exploits aux carrefours / Dans le temple de la littérature / Les noms des doctorants sur les stèles / Supportées par la sagesse des tortues / À Ha Noï vieilles de cinq / Cents ans » (p. 56). Mathias Lair nous entraîne en effet dans des lieux qui l’ont inspirés, qu’il s’agisse de l’Asie (Du Viêt Nam que reste-t-y ?) ou de l’Inde (Proêmes indiens). De fait les publications successives se renforcent l’une l’autre et composent une œuvre, au sens fort du terme, dans la mesure où les méditations (poétiques) reprennent les mêmes chemins, et s’approfondissent à chaque nouvelle publication.


Il y aurait tant à dire encore sur ce recueil, de quoi excéder les limites d’une « note de lecture ». Disons, pour finir, que cet éloge de la pierre, matériau vivant (Chaque pierre a son histoire / Elle en porte les traces / En plans et fractures / Variations de couleurs / Transparences et formes / Je la ramasse l’inspecte […] toutes sont belles / D’être uniques », p. 21), se confronte à l’omniprésence, dans le monde moderne, du béton dont sont formées nos modernes constructions :


La ville est fausse de pierre morte

Le béton n’arrive pas à singer

la vie des vraies seulement

Un pulvérulat de faux semblant

Même une pierre tombale a plus

De relief de lumière

Que ce conglomérat monté

Entre quatre planches la ville

Même pas mortuaire rien

Qu’un décor par où défilent

Les masses fourmilières (p. 81).


La pierre, c’est le retour à l’authentique, à une vie minérale, humaine, spirituelle, qu’elle soit, cette pierre, métamorphique ou sédimentaire : le recueil de Mathias Lair nous invite à rêver les pierres, – si ce n’est à les révérer.

 

 

Né en 1963, Didier Gambert est spécialiste de littérature du XVIIIe (thèse soutenue en 2008, publiée en 2012 chez Champion) et a publié quelques ouvrages dans ce domaine. Il a d’abord pratiqué l’écriture poétique de manière intermittente, puis de façon très régulière ces dernières années. Certains de ses textes ont illustré une exposition de photographies de Bérénice Delvert, intitulée Métaphysique de l’Océan (La Grange aux arts, Champniers, près d’Angoulême). Présent, en tant que poète, dans les  n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 59, 60, 61 et 62 et en tant que critique dans les n° 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 70, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 88, 89, 90, 91, 92 et 94 de Lichen.

 

 

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