Note de lecture

 

Clément G. Second a lu Feux de friche de Colette Daviles-Estinès (éditions Tipaza, Cannes, mai 2022).

 

Réunie sous son titre descripteur d’une opération radicalement transformatrice à l’œuvre, cette centaine de pièces se situe en continuité, perçue d’emblée, confirmée à l’étude, avec les deux grands livres précédents de Colette Daviles-Estinès *. Semblable tonalité existentielle métabolisant amour de la vie et tourments de finitude, proche parenté des veines d’écriture. On y retrouve de bout en bout, sous les espèces de la justesse expressive renouvelée au bénéfice des modulations du chant intérieur, le même engagement intime d’une conscience aux prises avec les enjeux d’un travail foncier sur soi. 

 

La nouveauté toutefois est qu’ici la pulsation poétique scande au plus près le devenir personnel en acte. Témoin, entre autres, la fréquence de la première personne verbale, la puissance de rythme, la volubilité lyrique soutenue et le soin de lucidité incisive sur les sous-jacents d’un parcours. Ces Feux de friche, par juste emprunt à la façon culturale de l’essartage, désignent un processus sans équivoque. L’intensité de la parole revisite, consume et tend à dépasser la matière éparse de champs de vie et de souffrance demeurés en attente. Une mise à jour, et au jour, fondamentale se déploie non sans épreuves, non sans persévérance non plus.

 

Pour exemple, dans une des parties emblématiques, Cendres, le poème Je brûle, où s’accomplit l’essence du livre jusqu’à une incandescence déjà presque libératrice. La profération réitérative devient cri de désir, flamme contorsionnée vers son exaucement.  En citer des passages le dénaturerait, il est à lire et relire entier.

 

Je brûle

 

On m'avait dit de brûler tout ce qui me fait mal
alors je brûle les ronces qui te déchirent le flanc
Je brûle le bateau qui est parti sans toi
Je brûle mes dents

Je brûle le cochon

qui se repaît de confiture
Faut-il que je brûle aussi

la photo désenfouie ?
Je la brû... non

je ne peux pas
Regarde comme c'est laid, la vie

lorsqu'elle t'ampute d'une sœur

d'une mère ou d'un ami
toutes ces amours que tu avais encore à vivre
Je brûle ces touffes d'étoiles parties

au firmament du néant
Je brûle ma colère

et elle fera long feu

                                    Qu'est-ce qu'on attend pour aller bien ?

 

À lire et méditer, l’ensemble bien sûr –  et surtout sans doute le poème final, Arriver là, celui précisément confronté à la dernière finitude, la cessation : 

 

J’ai écrit des chemins sinueux
des routes serpentines
des voies sans issue
peu carrossables
mais la brèche des palissades

Il est des choses qui ne peuvent s’écrire
elles ne sont pas envisageables

Il n’est pas envisageable
que la route s’arrête

au bout du vent

Entends ce vent déchirer le ciel
entends-le froisser les nuages

J’écris Je suis arrivée là

Il suffit qu’une maille file le poème
et la vie se détricote
et tous les chemins, toutes les routes
et toutes les brèches des palissades

Il n’est pas envisageable
que tout s’arrête.

 

 Y sont marqués à la fois, dans un mouvement de simplicité presque solennelle, le point d’avancée de la quête, le constat radical de la fragilité ontologique et sa pathétique inconcevabilité aux yeux et au cœur de Colette Daviles-Estinès. 

 

... Après quoi demeure, avec le silence, la question de l’identité du livre. Se tient-elle incluse dans le poétique ou l’excède-t-elle plutôt, en confinant à l’une des voies de la mutation intérieure portée par les pouvoirs propres de la Parole ? Cette introduction, tout en inclinant au second possible, nécessiterait plus d’éléments pour autoriser une réponse. Puisse-t-elle du moins contribuer à faire lire et aimer dans Feux de friche l’authenticité poétiquement transcrite d’une combustion libératrice.

 

 

Clément G. Second

 

 

* Colette Daviles-Estinès : L'Or saisons (éditions Tipaza, Cannes, avril 2018, avec des peintures de Philippe Croq) ; Matrie (éditions Henry, collection La Main aux poètes, Montreuil s/Mer, 2018).

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