Note de lecture

 

Didier Gambert a lu Vivante-moi, suivi de Toute fraîche agonie, de Coralie Akiyama (Tarmac, 2022, 56 p., 14 €).



Coralie Akiyama vit au Japon, à Tokyo, ayant quitté la France depuis plusieurs années. Elle fait  partie de la catégorie des auteurs exilés-volontaires, que l’activité professionnelle, ou, plus poétiquement, le désir d’ailleurs, si difficile à déraciner, a conduit à s’expatrier, à changer de perspective. Elle a publié un récit aux éditions Moires (Bordeaux) ainsi qu’un premier ouvrage de poésie, Désordre avec vue, paru aux éditions Douro.

 

Ce premier ouvrage, où perçait un certain lyrisme, se voit en quelque sorte contredit par la parution de Vivante-moi, tant l’écriture poétique, comme un sismographe perfectionné, semble à même d’enregistrer et de reproduire les mouvements intérieurs, des plus ténus aux plus violents, afin de leur donner figure.

 

L’image de couverture, une photographie de Christophe Bregaint, évoque un monde à la fois déshumanisé et sur-humanisé, dans la mesure ou sur fond de ciel rouge se dresse une forme cubique surmontée d’une structure électrique indéterminée. Rien là de poétique au sens traditionnel du terme, mais peut-être un constat : l’inclusion dans un monde créé par le génie (diabolique ?) de l’homme, d’où il semble avoir disparu.


Le recueil commence comme un récit, une sorte de comptine, qui n’aurait d’enfantin que la forme : « Ça y est, ma tête a explosé contre une porte de salle de bain. Elle a depuis une drôle de gueule. // — Qu’as-tu à dire à cela ? Me demanda ma bosse ensanglantée. / — Une tête qui a une gueule… ça ne veut rien dire » (p. 5). Dès le début est ainsi posé le thème du recueil, celui sans doute, d’une crise profonde, ainsi que le parti-pris d’une expression directe, dénuée des fioritures du poétisme. De plus une interrogation sur le langage se met d’emblée à courir, mener son chemin.

Pour la voix poético-narrative il faut, dès l’entrée, accepter une sorte de chemin de croix : porter et cacher en même temps une douleur qui n’a pas de nom, que le recueil va s’employer à creuser, apprivoiser, et pourquoi pas dissoudre : « Ma bosse ne répondit pas. Je la dissimulai sous mes longs cheveux. Elle commença une conversation avec mes souffrenirs encrânés » (p. 5). L’autrice ne recule pas, quand il fait mouche, devant l’usage du néologisme expressif. 

 

Le recueil commence ainsi sous forme dialoguée. De fait, souvent apparaissent des présences, que l’on devine hostiles, brutales : « Celui qui a essayé de me tuer alors que je n’étais rien, aurait-il essayé de me faire vivre si j’avais été tout ? La montagne ulule pour toute réponse. » (p. 6). Coralie Akiyama aime manifestement jouer avec le langage, inverser les propositions, jouer avec la logique, la rationalité. Ceci étant dit il s’agit toutefois ici d’évoquer un meurtre possible, peut-être celui de l’artiste qui sommeille en elle, qui a dû se battre pour parvenir à l’existence.

 

Vie, mort, amour : d’une manière, ou d’une matière ayant évacué toute forme de lyrisme, le recueil pose les questions essentielles : « Vous, oui, là. Ou là-bas. / Ce n’est pas la peine de vouloir coucher avec moi : je suis morte. / Dissipons dès à présent tout malentendu : je suis morte. / Disons-nous-le avant de vous être indésirable, je suis morte. » (p. 14). Le fantasme, nécrophile ?, exprime une tragédie : celle d’un être qui se dépossède de lui-même, objet de désir qui se refuse au désir, qui affirme une identité de « morte », envisage son retrait du monde, son inexistence absolue. Sous forme dialoguée, deux pages plus loin, encore le même thème, associé, cette fois, à une idée de renaissance possible : « — Tu es une femme éteinte / — Tu trouves ? — Oui, regarde, tu es fanée // Il ne me trouvait même pas vivante. Morte. Il osa le mot pour me provoquer. M’asséna des solutions : Homme, bonheur, réalité. Preuve de ma non-vie, je restai sans réaction. / Aphone, et v’lan. / Fleurie dedans. » (p. 17). 

 

Un tel texte semble emblématique, condenser les thèmes parcourant le recueil : les rapports homme-femme, fondés sur une forme d’incompréhension fondamentale, voire de brutalité, l’image de la « femme-fleur » prisonnière d’une dialectique du « fleuri/fané », la floraison, secrète et invisible, s’opérant à l’intérieur. À noter également : un rejet virulent de ce qui conditionne l’existence moyenne : « homme, bonheur, réalité ».

 

Coralie Akiyama explore ainsi une forme de déréliction qu’elle s’emploie à faire grimacer par l’écriture, semble-t-il. Ceci étant dit, l’ouvrage n’est pas sans espérance. La crise, violente, porte peut-être en elle-même son aboutissement : « Revenir à la vie comme on vient aux fontaines / les mains vides et ouvertes / Toutes tempêtes repues » (p. 24).

 

Il ne s’agit ici que de quelques notations, ou impressions de lecture : le livre de Coralie Akiyama est âpre, inhabituel, l’écriture mise en œuvre ne se pliant pas volontiers aux canons traditionnels de ce que l’on nomme poésie sans y penser, mais invitant à faire un usage autre du langage.

 

Didier Gambert

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire