Note de lecture

 

Didier Gambert a lu Et moi, je rirai de votre épouvante de Valéry Molet (éditions Unicités, 2021, 13 €).

 

Il y a quelque chose de sarcastique, indéniablement, dans la façon de poser un « moi » en tête de l’ouvrage que publie Valéry Molet aux éditions Unicités, un « moi » qui ne se veut pas platement « humaniste » mais moqueur, et peut-être insidieusement pince-sans-rire : « Moi aussi, lors de votre malheur, je rirai / Je serai sarcastique quand viendra l’épouvante, / En attendant, je contemple un pot de moutarde de Meaux, / Ses spores d’or très fins, parsemés sur tes lèvres » (p. 34) .

 

L’ouvrage, de belle facture, alterne rigoureusement, dans ses quatre-vingts pages, textes en vers libres et proses parfois d’une certaine ampleur. Le livre bénéficie en outre d’un accompagnement artistique que l’on peut qualifier de « libre », tant les illustrations de Baptiste Carluy semblent évoluer dans leur univers propre, indépendamment du « récit » que déploie le texte de Valéry Molet. Rien d’anormal ici, tant la liberté des artistes est totale en la matière : un auteur peut choisir en toute légitimité, de « coller » à son illustrateur, voire de feindre de le faire, de manière plus subtile, ou, au contraire, de s’en détacher pleinement, voire de l’ignorer. Et il faudrait être bien mal avisé pour trouver à y redire.

Ceci étant dit, la beauté intrinsèque des compositions retient le lecteur.

 

L’ouvrage s’ouvre sur un certain nombre d’épigraphes. Sont ainsi cités Jean-Daniel Rohart et Friedrich Nietzsche dans un de ses célèbres aphorismes : « Souffrir de la solitude est mauvais signe ; je n’ai jamais souffert que de la multitude ». Ainsi se définit une posture, un éthos comme aime à en faire état la critique contemporaine, celui d’une sorte d’esthète, de figure d’artiste insituable. L’ouvrage semble en outre être adressé, c’est-à-dire qu’au-delà d’un public, celui qui achètera et lira le livre, il s’adresse, ou feint de s’adresser, à une personne, peut-être réelle, désignée par deux initiales, S et D, sorte de moderne et mystérieuse Délie ?

 

Dans une composition faite d’entrelacements, le recueil semble nouer et maintenir un dialogue avec cette personne, dialogue auquel le lecteur est convié, dans la mesure où, par la transfiguration qu’opère l’écriture, il devient un objet littéraire. 

 

Rien de « poétique » au sens traditionnel, et galvaudé, du terme dans ce récit amoureux, où les termes les plus crus, physiologiques, sont l’autre langue de l’amour.

 

Valéry Molet, dans ses proses, pratique une forme d’art poétique. D’abord, il s’agit pour lui d’identifier quelques grands anciens, ou inspirateurs, dont la forme d’esprit semble habiter l’ouvrage. Léon Bloy est de ceux-ci, tout comme Octave Mirbeau. Léon Bloy apparaît dans une prose (p. 18) : « La plupart de ses livres sont mal fichus, hyperboliques, si gonflés de références bibliques que plus personne ne comprend, qu’on a l’impression qu’il les a écrits avant la crucifixion. Et pourtant, son sens de la formule, son goût pour la polémique et la vindicte, ses insultes en font le plus grand des contemporains ». Octave Mirbeau lui donne la réplique quelques pages plus loin : « C’est un esprit mordant qui anticipe l’ennui que la France provoque. Il est acerbe comme un drôle et ironique comme une serpe. Il disserte, coupe, commente, pérore pour dire tout le mal du bien auquel il ne croit pas. Quand je pense à lui, mon cerveau vrombit. Quand je n’y pense pas, le moteur refroidit immédiatement. Avec lui, le sens de l’anarchie s’éclaircit » (p. 43).

 

On l’a compris, Valéry Molet se joue des codes et de l’attente du lecteur. Là où l’on pourrait s’attendre à des enfilades de vers, libres pour la plupart, on trouve des proses réflexives, et des vers où l’érotiste se fait à l’occasion spécialiste médical, froidement clinique.

 

Le lecteur est pris à contrepied. 

 

On apprécie en outre la présence de figures emblématiques, telle celle d’Oblomov, imaginée par le génial Ivan Gontcharov. On connaît, et si on ne le connaît pas il faut de toute urgence s’empresser de faire sa connaissance, le personnage d’Oblomov, incapable de quitter canapé et robe de chambre, que même l’amour le plus sincère ne parviendra pas, en fin de compte, à faire échapper à son destin d’aboulique. Oblomov apparaît ainsi comme un remède absolu et salvateur à toute forme de jeu social : « Oblomov a raison contre tous ceux qui ont cru, croient et croiront qu’une idée sociale, politique ou économique peut nous faire avancer d’un pas. Je préfère rehausser mon oreiller et hurler : "Zakhar, Zakhar" pour que les rideaux soient bien tirés et mon thé servi avec des petits biscuits aux amandes » (p. 60).

 

On apprécie également la référence à l’auteur polonais Andrzej Staziuk (inénarrable auteur de Mon Allemagne), de qui Valéry Molet retient Pourquoi je suis devenu écrivain, dont le titre lui avait pourtant paru bien peu engageant : « La littérature est bien vivante : c’est tellement ridicule que ce n’est même pas ennuyeux. Les cochons savent-ils que les porcs existent ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, Andrzej Staziuk, écrivain polonais, perdu dans sa solitude, est la preuve cinoque que des questions de ce type peuvent encore se poser. Pourtant, lorsque je me suis rendu à la bibliothèque, zieutant les étals de livres à la recherche d’un steak un peu tendre, le titre m’a paru un peu insipide : Pourquoi je suis devenu écrivain. Pourquoi n’ai-je pas monté une boucherie chevaline ? aurait été moins grotesque » (p. 46).

 

Valéry Molet n’emprunte pas le ton inspiré du poète-prêtre ou prophète et conduit une réflexion sur la poésie dont quelques grandes proses portent le témoignage. On y trouve une critique de Char et d’Hölderlin, de la poésie de l’être, du haïku infinitésimal.

 

Tout, dans cet ouvrage, incite à penser, à se poser la question : Quelle fonction pour le poète au XXIesiècle ? posée en tête d’une des dernières proses (p. 68-70), peut-être la plus longue.

 

Didier Gambert

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