Note de lecture

 

Chronique de Didier Gambert 

 

 

Stève Wilifrid Mounguengui, L’Énigme des ruines

 

La Kainfristanaise, 72 p., 16€.

  

 

Stève Wilifrid Mounguengi est éditeur ; il est également poète ; peut-être est-il poète parce qu’il est éditeur ; mais surtout, et avant tout, éditeur parce que poète, parce que les deux activités lui semblent aller de pair, se nourrir et se conforter l’une l’autre.
Après un premier ouvrage, paru en 2017 chez L’Harmattan, intitulé Et au-delà nos songes d’hiver et le parfum de la terre, il a publié fin 2023, à La Kainfristanaise, la maison d’éditions qu’il a fondée, le recueil intitulé L’Énigme des ruines.


 

 

Un avant-dire en prose précise les conditions d’écriture du livre : l’auteur s’est retiré en Ariège, loin du bruit général du monde, un peu comme d’autres, et pour les mêmes raisons, choisissent les solitudes du Massif Central, du Jura, où de la Sibérie, les terres hautes, afin d’y occuper de manière transitoire une modeste cabane de Waldgänger, où la pensée et l’imaginaire enfin libres trouveront un espace à leur mesure, où se déployer.

« L’Énigme des ruines est né de la sidération devant les murs en lambeaux, les cabanes abandonnées, les ustensiles renversés ou accrochés aux murs recouverts de suie. Parfois exposées sur des lignes de crêtes, sous de vastes ciels bleus traversés de nuages, souvent ensevelis dans la forêt, au bord des chemins éteints, oubliés de tous, les ruines charment jusqu’au vertige dès qu’elles se donnent au regard » (p. 9). On trouverait volontiers des précurseurs à une telle démarche. Les époques troublées posent la question des ruines, en effet. Ce qui nous vient d’abord à l’esprit, outre les ruines bien réelles que les conflits entassent l’une sur l’autre, est le livre publié par Volney (anagramme formée de Voltaire et de Ferney, dit-on) en 1791, sobrement intitulé Les Ruines ; le peintre Hubert Robert, à la même époque, représentait la grande galerie du Louvre avec des voutes crevées et des murs ruinés, effondrés…

De fait, celui qui enquête sur les ruines est à la recherche de mondes disparus. Cela peut conduire à bien des méditations désabusées.
Toujours dans l’avant-dire, on peut lire les lignes suivantes : « Enfant, quand j’errais dans le vieux village, celui qui nous était interdit, les maisons de terre abandonnées provoquaient en moi frayeur et émerveillement, dans le même élan. J’en garde un souvenir inaltéré » (p. 9). On comprend cela, on comprend que le monde des vivants coexistait avec celui des disparus, et que cet univers étrange faisait peur à l’enfant. Les lieux abandonnés sont livrés à l’Histoire et aux légendes.

Stève Wilifrid Mounguengui transpose cette expérience dans les montagnes de l’Ariège, au temps de la COVID, quand l’espace s’était rétréci tout soudain (« Il paraît que les rues sont vides / Que la ville n’est plus qu’un décor de papier / Théâtre désert / Il paraît qu’une chose étrange règne / Que nos immeubles sont des étables / Il paraît que la puissance est fragile / Que les gens tombent » p. 59). Moderne Waldgänger, il arpente les chemins et les sentiers, presque clandestinement, explorant un univers déserté par ceux qui empilèrent pierre sur pierre : « Ce n’est qu’une cabane / C’est une nef / Derrière sa porte close la clé des rêves, le mystère / de l’âge de l’innocence / Ce n’est qu’une cabane, posée sous les pins, au / bord du ruisseau qui cueille la lumière / Elle attend le promeneur et ce matin-là, j’ai poussé / la porte et j’ai dévalé des jours / des années / des siècles en enfance » (p. 15). Même si l’on est athée en poésie comme pour le reste, refusant que celle-ci puisse apparaître en fin de compte comme un succédané de l’expérience religieuse, on ne peut qu’être sensible à l’univers habité que nous propose le poète. La cabane, humble, se métamorphose en nef, navire ou cathédrale ? Elle ouvre sur un ailleurs, un escalier que l’on dévale au fond de soi, en quelque sorte.

On se laisse porter, on se laisse presque dériver au fil du livre. Loin d’être abstraite, la poésie de Stève Wilifrid Mounguengui se veut matérielle : avant toute chose elle sollicite nos impressions, nos sens, quand bien même la matérialité se fait évanescente : « Aujourd’hui la brume est un voile / Elle règne sur le monde et les bois / J’attends sans attente assis dans la vieille cabane / en feuilletant les songes et les heures / Que suis-je venu trouver ici / Dans la solitude de la petite maison perdue / Près du feu et des murs de pierre / De ma fenêtre je vois fleurir les merisiers et passer / les souvenirs / J’entends rugir la rivière qui coule du Tuc de la
Coume / Elle réveille tous les fleuves et les ruisseaux / endormis dans mes songes / Je ne sais toujours pas les sentiers qui mènent à soi / Chacun gravit sa propre montagne en cette vie » (p. 48).
Romantique, Stève Wilifrid Mounguengui ? Peut-être, au meilleur sens du terme, celui qui associe la poésie à la contemplation du monde au sein duquel il s’inscrit. Il ne reste plus qu’à le lire, à parcourir avec lui sommets, combes et vallées.







Né en 1963, Didier Gambert est spécialiste de littérature du XVIIIe (thèse soutenue en 2008, publiée en 2012 chez Champion) et a publié quelques ouvrages dans ce domaine. Il a d’abord pratiqué l’écriture poétique de manière intermittente, puis de façon très régulière ces dernières années. Certains de ses textes ont illustré une exposition de photographies de Bérénice Delvert, intitulée Métaphysique de l’Océan (La Grange aux arts, Champniers, près d’Angoulême). Présent, en tant que poète, dans les  n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 59, 60, 61 et 62 et en tant que critique dans les n° 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 70, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102 de Lichen.






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