Didier Gambert a lu Un si beau siècle, La poésie contre les écrans d'Olivier Frébourg (Équateurs, 160 p., mai 2021).
On écrit beaucoup sur la poésie. Depuis Un Nouveau monde, anthologie parue en 2017, censée éclairer, mais peut-être en utilisant l’appareil conceptuel des années soixante-dix du siècle précédent, ses chemins et ses destins, on a vu paraître un assez important florilège de réflexions portées par des auteurs extrêmement divers. On citera, un peu au hasard, selon que l’on aura été retenu par tel ou tel titre repéré en librairie, les ouvrages suivants : Petit éloge de la poésie, de Jean-Pierre Siméon (Gallimard, 2021), Habiter poétiquement le monde (Poesis, 2020), La haine de la poésie, de Ben Lerner (Allia, 2017), le recueil de chroniques parues dans la revue Europe, par Olivier Barbarant, La juste couleur (Champ Vallon, 2021)… Dans cet ensemble on isolera, un peu arbitrairement, Un si beau siècle, La poésie contre les écrans, publié par Olivier Frébourg, chez Équateurs.
Le propos est sans aucun doute louable. Dans un texte qui se présente comme une sorte de manifeste, l’auteur érige la poésie en antidote destiné à lutter contre l’asservissement dont l’humanité se voit menacée par l’usage des réseaux sociaux et autres formes d’utilisations invasives du numérique. L’intérêt de l’ouvrage, qui, dans une certaine mesure, peut faire écho aux affirmations selon lesquelles la « poésie » ou « la beauté sauvera le monde », réside à la fois dans un constat très sombre : les écrans ont tué toute forme de vie spirituelle digne de ce nom (« L’affaire est entendue : les lumières sont éteintes depuis longtemps. Époque passablement sinistre. […] Là où la beauté disparaît, la contemplation et le silence s’effacent, la vie se réduit », p. 13). La poésie, peut-être, est susceptible de nous tirer de cette bien triste ornière de mélancolie.
De fait, l’ouvrage a pour mérite d’attirer l’attention sur de nombreux poètes dont la fréquentation serait à même de réveiller un imaginaire perdu : « Les écrans ont chassé les livres. La lecture exige le silence. C’est un cercle dans lequel on s’isole pour mieux rayonner. Sans imaginaire, nous sommes des papillons épinglés, dépourvus de passion ou de rêve » (p. 16).
Le premier convoqué est Charles Juliet : « si tu n’as pas / connu / le naufrage / impossible / de gagner / la haute mer / le naufrage / première porte de la connaissance » (p. 19). Ces beaux vers, dans leur simplicité, « accorde[nt] un peu d’espoir » à l’auteur de l’ouvrage. Du fond de la désespérance, il est peut-être possible de revenir.
Plus loin, les vers célèbres de Toulet (« Prends garde à la douceur des choses / Lorsque tu sens battre sans cause / Ton cœur trop lourd ; // Et que se taisent les colombes : / Parle tout bas, si c’est d’amour, / Au bord des tombes », p. 41) semblent s’adapter à la situation dans laquelle se trouve celui que le monde virtuel accable : « La numérisation est une injonction à oublier la mort, nos morts, la grande mémoire. Mais aussi le plus sûr moyen d’effacer la douceur de la vie » (p. 41).
L’auteur convoque également Baudelaire (« Mon enfant, ma sœur… ») mais encore Pessoa, poète souverain de Lisbonne : « Je ne suis rien. / Je ne serai jamais rien. / Je ne saurais vouloir être rien. / À part ça, je porte en moi tous les rêves du monde. // Fenêtres de ma chambre, / De ma chambre où loge un de ces millions / Qui sont au Monde sans que personne le sache » (p. 45). Le début du Bureau de tabac ouvre à l’auteur l’« épiphanie d’un royaume du rêve ». Il poursuit en ajoutant : « L’essence de la rêverie, c’est-à-dire le trésor et le secret, n’est pas dans la lourdeur de l’intellect mais [sic] la légèreté de la fumée » (p. 46).
La poésie, et cela n’est certes pas nouveau, invite au voyage, aux tourments de l’Ailleurs.
Et c’est peut-être parce qu’il fait une place au poète Louis Brauquier que le livre d’Olivier Frébourg a fait l’objet de cette note de lecture. Écoutons Brauquier, à propos de qui Olivier Frébourg écrit : « [il] n’était pas un globe-trotter mais un sédentaire en escale à perpétuité. Il était l’ami des dockers, lamaneurs, armateurs et capitaines. Pessoa fut aussi le promeneur des quais de la rêverie. Tous deux aimaient la fumée des navires et du tabac. C’était avant le triomphe de l’hygiénisme et du sanitaire antinomiques à la poésie. L’ivresse, le tabac, le poème sont des allègements du réel si lourd » (p. 49).
Écoutons-le : « Le soir doux porte des promesses de navires / Qui seront là-demain. / Le cœur le plus humain, agrandi, se déchire / Et saigne sur nos mains. // La détresse et l’amour ne trouvent que des larmes / Sur les quais émouvants. / Les paquebots, vidés d’espérance, se calment, / Noirs, près des hangars blancs » (p. 49).
Tout cela est un peu lyrique, certes, mais invite sans aucun doute à se plonger encore et encore dans ce qu’on appelle « poésie », faute de mieux sans doute.
Didier Gambert
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