Note de lecture

 de Didier Gambert

 

Mathias LAIR, Où est passé mon ange, Proèmes, collection ficelle & Plis Urgents 162è, Août 2025, Rougier V. éd., 40 p., 13€.

 

     L’éditeur Vincent Rougier vient de publier, dans la collection ficelle, un petit livre de Mathias Lair : Où est passé mon ange. Disons-le tout de suite : c’est un vrai bonheur que de découvrir, lire, puis relire ce texte-là. Très vite, on est pris, comme embarqué : la voix qui parle, nous parle, parle de nous, et cette histoire d’ange nous concerne de très près. Certes, il y a eu l’ange des Elégies de Duino de Rilke, comme le rappelle l’éditeur sur la quatrième de couverture, car, et c’est une particularité du livre : l’éditeur entend dialoguer avec son auteur, — mais il semble bien que l’ange de Mathias Lair, a quelque chose de plus humain que celui qui hantait les falaises de Duino.


     Faisons d’abord un sort au genre de la publication : Mathias Lair, qui a vraisemblablement une conscience aigüe du ridicule attaché au terme de poète (comment, sérieusement, peut-on oser se dire poète sans éprouver comme une gêne intense, un sentiment d’usurpation ?), n’entend pas publier des poèmes, mais des pRoèmes et n’avoir de commun avec le poète que de publier des textes formés de lignes inégales.


Ne nous le cachons pas : c’est plutôt noir, et ce dès le début :

y aller voir j’ai pas
envie trop noir
j’imagine un gouffre
où disparaitre
ou…


     On croit entendre, derrière cette angoisse (angoisse de la naissance ou angoisse de la mort ?), comme la voix d’un enfant, ténue, qu’accable la peur du noir, et de la mort possible, car l’ange est psychopompe, il est celui qui conduit les âmes des morts dans l’autre monde, comme l’écrit l’auteur dès le début :

L’ange psychompompe, psukhopompós, peut s’appeler
Anubis, Charon, être la Baba Yaga slave, un guédé
vaudou, l’ankou breton, l’archange Michaël des
chrétiens, il a toujours pour mission de nous guider.
Il peut nous ramener des enfers.



     Mathias Lair n’entend pas pour autant désespérer son lecteur, qu’il n’oublie pas, et à qui il s’adresse, indirectement, et avec malice :

                             le lecteur n’aime pas
                    les pleurs ni les tremblements
                    il veut de la joie de l’espoir
                    il veut se reposer à n’importe
                    quel prix dans la sérénité         

 

     Est-ce si sûr ? a-t-on envie de demander à l’auteur, mais aussitôt on se dit que cette vision du lecteur n’est pas la sienne, mais plutôt celle d’un éditeur qu’aurait contaminé l’esprit de temps, le préjugé selon lequel il faudrait, pour vendre et être lu, caresser le lecteur dans le bon sens, qui est celui du poil, paraît-il.

     Mais le lecteur peut avoir le poil rétif.
     Et l’auteur d’ajouter :

                Il y faudrait au moins
                Un peu d’humour ou d’ironie
                Il faut se marrer de tout

     En effet, mais le propos est sérieux : il s’agit, semble-t-il, d’interroger le cours d’une vie, de rappeler des temps anciens, ou très anciens, comme si on en était à l’heure des bilans, un peu comme Aragon qui, dans Le Roman inachevé, évoque sa vie, placée devant lui, sur une table…


     Évoquons d’emblée cette réserve de l’auteur :

             Je n’ai pas l’instinct
             du propriétaire à dire MA
             vie

     Les choses étant ainsi posées, le droit de propriété ayant été inventé par Belzébuth, on peut s’engager dans les voies de cette vie singulière :


           Je me suis toujours
           demandé ce que je faisais
           là fallait-il
           que je parte peut-être
           que je gênais en tout cas
           j’étais comme un cheveu
           sur leur soupe fallait-il
           que je m’excuse d’être-là
           j’y étais sans
           y être

       Y être, et n’y être pas. On connaît la question, mais c’est un fait : on prend l’histoire en cours, sans savoir ce qu’il y eut avant, et ce qu’il y aura, on contribue à le faire, même si, avec soi, on traîne toujours un peu comme un sentiment d’usurpation, ou d’étrangeté. Heureusement, comme on le lit dans la suite de l’ouvrage, il y a les mers, il y a les pierres et les arbres, si chers à notre auteur.

      Il y a aussi le tragique de l’Histoire, lorsque, à la fin, il évoque l’assassinat, par un fanatique religieux, en 1995, de Yitzak Rabin qui avait signé les accords d’Oslo.
      Ainsi, le petit livre de l’ange, ne peut échapper, en fin de compte, à la grande tristesse qui imprègne notre époque, mais, rappelons-le : c’est un vrai bonheur que de le lire.


 

 

 

Né en 1963, Didier Gambert est spécialiste de littérature du XVIIIe (thèse soutenue en 2008, publiée en 2012 chez Champion) et a publié quelques ouvrages dans ce domaine. Il a d’abord pratiqué l’écriture poétique de manière intermittente, puis de façon très régulière ces dernières années. Certains de ses textes ont illustré une exposition de photographies de Bérénice Delvert, intitulée Métaphysique de l’Océan (La Grange aux arts, Champniers, près d’Angoulême). Présent, en tant que poète, dans les  n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 59, 60, 61 et 62 et en tant que critique dans les n° 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 70, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 103, 106, 107, 108, 110, 111 et 112 de Lichen.




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