de Didier Gambert
Françoise Morvan, Clair soleil des esprits, Amour et mort à l’âge baroque, éditions Mesures, janvier 2025, 354 p., 24€.
Nous sommes de ceux qui, depuis la naissance des éditions Mesures, suivons assidûment le travail d’édition mené conjointement par Françoise Morvan et André Markowicz, qu’il s’agisse de traduction ou de publication de « textes non traduits », diffusés au moyen d’une souscription annuelle, ou, plus traditionnellement, à l’unité, par commande directe ou auprès des librairies.
Françoise Morvan a ainsi entrepris de publier un vaste ensemble poétique, qu’aucun éditeur n’aurait, soi-disant, le paysage éditorial étant ce qu’il est, accepté de prendre en charge dans son intégralité.
Il s’agit d’abord d’un ensemble de quatre recueils publiés sous le titre général, qui ravira les amateurs de science héraldique, de Sur champ de sable. L’ouvrage est formé de quatre livres, tous publiés aux éditions Mesures : Assomption, Buée, Brumaire, Vigile de décembre. On y lit, pour faire simple, comme une « recherche du Temps perdu », comme une fresque des temps passés, ou le biographique sans « je » s’allie à l’univers légendaire de la Bretagne. On y devine, parmi la multitude des évocations, des images, un goût constant pour la poésie du passé, les poètes baroques, ainsi que Théophile Gautier, grand découvreur de poésie, tout un réseau d’affinités secrètes.
Françoise Morvan a ensuite publié un recueil formé de quatrains, intitulé Pluie, ainsi que deux autres ouvrages venant compléter l’ensemble : L’Oiseau-loup et L’Amour des trois oranges, le conte merveilleux, souvent breton, figurant parmi les sources d’inspiration pour l’autrice.
Avec Clair soleil des esprits, Françoise Morvan donne accès en quelque sorte à quelques-uns de ses « secrets d’atelier ». On apprend dans quelle mesure la poésie de l’époque baroque habite et continue d’habiter l’esprit de la poétesse.
Une préface bien informée donne au lecteur tous les renseignements nécessaires, sur l’époque (mais de quelle époque s’agit-il au juste ? quelles en sont les limites chronologiques ?). On s’aperçoit que ce qu’on appelle « baroque » dans le domaine de la poésie, est quelque chose de mouvant et d’assez indéfinissable, ce qui en fin de compte ne surprendra personne. En tout cas, il s’agit bien, pour Françoise Morvan, d’évoquer une espèce de « miracle de la poésie » succédant de peu à l’époque déjà très riche de la Renaissance.
Pour l’autrice, Clair soleil des esprits n’est en rien une « anthologie de plus », après celles de Jean Rousset, Alain Niderst, Jacques Roubaud, etc., mais un ensemble de poèmes issu de la lecture de milliers de textes, certains magnifiques, d’autres moins, la production ayant été abondante et diverse à une époque où les poètes étaient souvent poètes de cour (cela a-t-il beaucoup changé ?) et de circonstance. Il s’agit pour Françoise Morvan de composer un ensemble très personnel, formé de textes l’ayant d’une manière ou d’une autre habitée, voire inspirée.
Le clair soleil des esprits est celui d’une fraternité poétique.
L’ouvrage est formé de douze parties thématiques, où l’on reconnaît un certain nombre de thèmes généralement associés au baroque : « Amours claires, Amours grises, Amours noires, Vain théâtre du monde, Solitudes, etc. »
Une particularité : l’autrice complète son édition par des traductions de Sonnets de Shakespeare (ayant fait l’objet d’une publication séparée aux éditions Mesures), de Pétrarque, de Camoëns et de Garcilaso de la Vega, donnant à son projet une dimension européenne, sinon universelle…
On l’aura compris : l’ouvrage est d’une grande richesse et permettra aux lectrices et lecteurs, aux amateurs de poésie, d’échapper un temps à l’époque présente et d’accéder à des textes d’une hauteur de vue parfois rare.
Citons, pour finir, quelques un de ces textes.
De Du Perron, d’abord, un extrait d’un poème ayant fait l’objet, parmi d’autres questions traitées, d’une analyse d’André Markowicz, dans une émission diffusée en février 2025 sur France Culture :
(https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-book-club/dans-la-bibliotheque-d-andre-markowicz-7108284) :
Au bord tristement doux des eaux je me retire
Et vois couler ensemble et les eaux et mes jours,
Je m’y vois sec et pâle, et si j’aime toujours
Leur rêveuse mollesse où ma peine se mire […] (p. 113)
Et encore, d’Étienne Durand, ce curieux poème proposant un peu à la manière de Mille milliards de poèmes de Queneau, une lecture multiple, à la fois linéaire et tabulaire… :
Ô amour, ô penser, ô désirs pleins de flamme,
Une dame, un objet un brasier que je sens
Me blesse me nourrit conduit mes jeunes ans
À la mort aux douleurs, au profond d’une lame [...] (p. 80).
La poésie baroque nous rappelle que nous sommes aussi, nous « modernes » ou « post-modernes » ou, que sais-je encore ?, au moins aussi « baroques » que nos prédécesseurs, mais que ceux-ci avaient le souci d’une expression juste et haute, qu’on appelle poésie.
Né en 1963, Didier Gambert est spécialiste de littérature du XVIIIe (thèse soutenue en 2008, publiée en 2012 chez Champion) et a publié quelques ouvrages dans ce domaine. Il a d’abord pratiqué l’écriture poétique de manière intermittente, puis de façon très régulière ces dernières années. Certains de ses textes ont illustré une exposition de photographies de Bérénice Delvert, intitulée Métaphysique de l’Océan (La Grange aux arts, Champniers, près d’Angoulême). Présent, en tant que poète, dans les n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 59, 60, 61 et 62 et en tant que critique dans les n° 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 70, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 103, 106, 107, 108, 110 et 111 de Lichen.
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