Didier Gambert a lu Pluie, de Françoise Morvan (éditions Mesures, 2021, 92 p., 12 €).
Françoise Morvan, dont on connaît les travaux sur le poète et traducteur Armand Robin (Armand Robin ou le mythe du poète, classiques Garnier, 2020), ainsi que de nombreux ouvrages en lien avec l’imaginaire, la poésie, ainsi qu’avec le Moyen-Âge (pensons à sa très belle et vivante traduction en vers de La Folie Tristan) se consacre depuis plusieurs années à l’édification d’une œuvre poétique personnelle de belle ampleur. Je pense en particulier à l’ensemble intitulé Sur Champ de sable, constitué de quatre recueils qui peuvent se lire séparément, mais qui forment en réalité un ensemble très homogène, dont il sera question prochainement dans Lichen.
Paru en 2020, on retrouve dans ce recueil sobrement intitulé Pluie ce qui fait la particularité, et le charme, des quatre recueils précédents (Assomption, Buée, Brumaire, Vigile de décembre) : un parfum d’enfance lointaine, un regard jeté sur le monde qui semble appartenir à des temps perdus, immémoriaux, à l’univers des contes… Françoise Morvan a vécu et vit en Bretagne, d’où elle est profondément originaire. Il semble que son œuvre exprime cette « origine » — si je peux le dire ainsi.
Pluie est constitué de quatre parties égales : quatre fois seize quatrains. Sans doute les quatre parties correspondent-elles au découpage en saisons d’une année, sans qu’il faille chercher absolument une correspondance qui serait totalement rigoureuse, même s’il est question « d’avril » dans une section, de « l’air de l’hiver » dans une autre.
Chaque section est en outre précédée d’une photographie réalisée par l’autrice : le même plan, semble-t-il repris quatre fois, d’un paysage vu au travers d’une vitre fortement embuée. On y devine un ciel de nuages, peut-être la pointe de sapins…
Ce qui frappe à la lecture de l’ouvrage, c’est un imaginaire qui ne ressemble à nul autre, fait de sensations qui seraient venues d’un « autre monde », pour lequel on peut penser à celui des contes et des légendes. Et ce d’autant plus que le point de vue adopté semble être celui d’une enfant : « Comme on dit que la pluie murmure / L’enfant mussé dans sa maison de plumes / sous la soie rouge au fond du vieux grenier / sent une femme immense qui l’entoure ». Tel est le quatrain inaugural, qui nous introduit dans le mystère. Le lecteur est en quelque sorte aimanté par le mot « mussé », qui semble tellement inactuel, comme d’une autre langue. Littré nous apprend que « musser » signifie « cacher, se cacher ». Il provient de l’époque de Montaigne et de la période des poètes baroques. Françoise Morvan, délibérément, a décidé de transplanter ses lecteurs et lectrices.
Plus loin, un autre mot, rare, suave et beau, attire l’attention : « Sous les arceaux fins de la porcelaine / Glisse un ruban de soie ponceau / Ciel de Verlaine après la pluie / Mauve et gris tourterelle ». Littré, toujours lui, rappelle que « ponceau » signifie « rouge fort vif », ce qui, au passage, contraste avec l’évocation du « ciel de Verlaine après la pluie » que l’on imagine tirant sur un camaïeu de gris.
Le monde semble par ailleurs rempli de mystères et de visions, visions de choses que seul/e l’enfant voit : « Sur la rousseur des peaux de sauvagines / La pluie mêlée de grésil semble noire / Les chasseurs acharnés à leurs marchandages / Oublient le gris vide ouvert sur le ravin ».
Omniprésentes, les couleurs : la rousseur, le gris (le mystère que l’on ne voit pas, auquel on n’accorde aucune attention : destin ou malédiction de l’homme attaché à la terre et au réel, indifférent à la beauté des choses, à son appel) : on croirait parfois lire, en raison de l’atmosphère qui se met en place, le début d’Un Roi sans divertissement. La cruauté, en effet n’est pas loin, avec le sacrifice du veau de lait : « Temps gris bruine en avril / Du soleil perce la vitrine / Où la viande rosée du veau de lait / S’ouvre sous le couteau qui brille. » Il y a quelque chose d’après le déluge dans la netteté des visions, dans l’attention portée aux couleurs, aux éclats, mais aussi à la distribution de la matière sonore des mots qui fait rythme et image.
Les quatrains formant le recueil sont ainsi autant d’invitations à rêver, à voir au-delà « du gris vide ouvert sur le ravin », à créer et percer des mystères.
Enfin, le livre est de très belle facture : beau papier, belle impression, couverture sobre et soignée.
Pour finir :
Grelots légers sous les ombrages
L’équipage à menues clochettes
Tintinnabule au gré du vent
La fée tremblote et rit de l’averse
Né en 1963, Didier Gambert est spécialiste de littérature du XVIIIe (thèse soutenue en 2008, publiée en 2012 chez Champion) et a publié quelques ouvrages dans ce domaine. Il a d’abord pratiqué l’écriture poétique de manière intermittente, puis de façon très régulière ces dernières années. Certains de ses textes ont illustré une exposition de photographies de Bérénice Delvert, intitulée Métaphysique de l’Océan (La Grange aux arts, Champniers, près d’Angoulême). Présent, en tant que poète, dans les n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 59, 60, 61 et 62 et en tant que critique dans les n° 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 70, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 88 et 89.
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