Note de lecture

Chronique de Didier Gambert




Mathias Lair, Quel est ce bonheur enfoui, pRosodie-pRoèmes, Rougier V. éd. revue ficelle & Plis Urgents, septembre 2024, 42p., 13€.


Le lecteur de Mathias Lair reconnaîtra, dans les pages de ce petit volume, bon nombre des thèmes qu’il aura pu voir naître, puis s’esquisser et se développer d’un livre à l’autre : une œuvre se constitue ainsi, faite d’échos et de reprises, de ruptures aussi, parfois. Comme le précise un mot de l’éditeur « Mathias Lair repart donc encore une fois à la recherche de son ange… » On se dit qu’il y a quelque chose d’éminemment nervalien, très émouvant, dans ce qui ressemble à la quête poétique d’un passé, forcément disparu :


quel est ce bonheur

enfoui qui fut

un jouir absolu

dont on ne revient

jamais entier

quel[le] partie y est

restée perdue

à retrouver peut-être


dans la mort


Tel est le premier texte. On y sent frémir comme un chant léger, poétique assurément, empreint d’une très profonde et poignante nostalgie, celle que laisse la perception du temps qui a passé, comme si l’être, d’un double mouvement, se construisait par son insertion dans la durée (sa chute dans le temps, selon Cioran), mais aussi, s’il est permis d’user d’une expression toute faite, y laissait des plumes. Peut-être d’ange, les plumes… Et le poète se lance dans une quête des origines, qui lui est familière, puisqu’elle constitue une part importante de son récit Aucune histoire jamais, ainsi que de quelques autres parmi ceux qu’il a publiés. Il remonte ainsi au temps de la naissance, temps des limbes, mais aussi à l’avant naître, à tous ces ancêtres obscurs et innombrables qui s’unirent pour donner la vie, perpétuer l’être. Et nous voilà peu avant la fin de la Guerre de Trente ans :


vers 1644 deux mille

quarante-huit hommes et

deux mille quarante-huit

femmes forniquèrent pour

que je puisse naître

un jour


La poésie de Mathias Lair est ainsi, faite à la fois de légèreté, mais aussi d’une certaine rugosité lorsqu’il s’agit de rendre compte d’une réalité. D’ailleurs il qualifie la plupart du temps ses textes de pRoèmes, se méfiant (on ne peut plus être naïf en poésie) du chant convenu qui menace de s’installer, d’où des textes qui s’acoquinent avec la prose.

Ainsi, dans la section 2 (le livre en comporte 4), intitulée « Elle est retrouvée », une prose — car il s’agit bien d’une prose dans la mise en page de l’édition, une prose étroite —, à la fois tendre et pleine d’irrévérence :


Elle est retrouvée

quoi l’éternité

du tombeau j’avais

perdu mes parents

dans les dédales

de la section 8 le

lot 6323 les voilà

accouplés sous la

dalle en train de

me concevoir encor

ils n’arrêteront

donc jamais


Peut-être Rimbaud, on l’aura reconnu, rêvait-il aussi d’un retour à l’origine. Pour Mathias Lair, ou plutôt pour la voix pRoétique qui se développe dans l’ouvrage, il s’agit, en dépit du cocasse macabre, d’un retour à une sorte d’Eden, dont il va même jusqu’à donner l’adresse… L’homme, l’homme fait déambule aux lieux de son enfance, traquant dans les interstices des briques d’un muret, dans le vert d’une grille, les effluves lointains de l’enfance perdue, du père et de la mère, disparus aussi.


La vie, la poésie, l’amour, sont choses graves en fin de compte. Le pRoète nous propose ainsi de l’accompagner dans une flânerie, une déambulation, ou encore une errance, souvent souriante, au cœur de l’humaine condition. Pour finir, et faire écho à Reste la forêt, autre publication de Mathias Lair, dont le héros premier est un petit chêne qui aurait dû mourir plusieurs fois, et s’est accroché à sa « chêne » de vie :


j’avais perdu foi

en moi les humains

desséchés

quand un arbre

m’a parlé

nous jouissons

de ressources

insoupçonnées


Au début, le « jouir » ; autre forme de jouissance à la fin : l’amitié d’un arbre. Que serait la vie sans cela ? Il reste au lecteur à découvrir ce petit objet de bibliophilie, qui offre une perspective nouvelle et sensible sur l’œuvre de Mathias Lair.

 






Né en 1963, Didier Gambert est spécialiste de littérature du XVIIIe (thèse soutenue en 2008, publiée en 2012 chez Champion) et a publié quelques ouvrages dans ce domaine. Il a d’abord pratiqué l’écriture poétique de manière intermittente, puis de façon très régulière ces dernières années. Certains de ses textes ont illustré une exposition de photographies de Bérénice Delvert, intitulée Métaphysique de l’Océan (La Grange aux arts, Champniers, près d’Angoulême). Présent, en tant que poète, dans les  n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 59, 60, 61 et 62 et en tant que critique dans les n° 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 70, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 88, 89, 90, 91, 92, 94, 95, 96, 97, 98, 99 et 100 de Lichen.

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