Note de lecture

 

Chronique de Didier Gambert




Gérard Berréby, L’Imparfait du subjonctif, Allia, 2023, 128 p., non paginé, 7,50€


La poésie de Gérard Berréby n’est pas de celles qui se donnent d’emblée, de celles qui usent et abusent de la séduction du chant, qui séduisent, à tous les sens du terme, lors d’une première lecture, qui abusent des prestiges, souvent vains, de l’image, de l’harmonie, du sens facilement atteignable. Il faut en quelque sorte au lecteur un temps d’acclimatation avant de se sentir, à la lecture, en terre familière.

Un précédent recueil du même auteur, Le Silence des mots, avait fait l’objet d’une note de lecture dans Lichen. Silence des mots d’une part, Imparfait du subjectif d’autre part : il semble bien que l’œuvre de Gérard Berréby s’attache à exprimer une certaine imperfection du monde comme il va (plutôt mal d’ailleurs, comme chacun le sait) : les mots ne parlent pas, le subjectif est imparfait. Ça claudique, ça boite de par le monde.


Cent-onze textes (de 0 à 110) composent l’ouvrage, non paginé : chaque nombre est à prendre comme numéro de poème dans la série.

Gérard Berréby semble, d’emblée, inventorier une catastrophe, activité qui, au vu de ce qu’on appelle « actualité » n’a pas de quoi surprendre le lecteur, ou la lectrice : « […] au-delà des champs / gorgés du sang des morts / à peine enterrés / toujours la même histoire / entre les nantis / et les démunis (poème 2) ». On pourrait sans peine remonter aux batailles de l’Antiquité, Cannes ou Zama, d’autres, Crécy ou Azincourt, d’autres encore et bien plus sanglantes… En tout cas l’affaire semble entendue : pas ou peu d’images, mais une succession de constats amers : l’Histoire, cette répétition du même, jusqu’à la nausée.

Le poème 2 donne le ton de la catastrophe en cours. Pour bien faire, il faut le citer en entier : « d’épais nuages de fumée orange / au-dessus de nos têtes / les flammes enveloppent / les immeubles qui tremblent / dans un bruit sourd / incessant / des morceaux de corps / au sol / sous une fine pluie / noire / les déflagrations / entendues / de l’autre côté de la mer / la dévastation règne / partout / règne l’anéantissement // il fait nuit / et la ville est à terre ». De quel Hiroshima, de quelle Pompéi, Dresde, Varsovie, Hildesheim, Guernica, Gaza, Marioupol, Royan, Mexico, et de toutes ces villes qu’on ne nomme pas car la liste en serait trop longue, et désespérante, s’agit-il ? Le poète, dénonce, c’est certain, avec ses mots, que peut-il faire d’autre ?... Se taire serait plus désespérant encore.

Le poème 3 remonte plus loin dans l’Histoire encore : « le récit suspendu / d’un air épuré / dans le sac de Rome / ou d’ailleurs ». Gérard Berréby, parmi les multiples façons d’être, ou de faire poète, a choisi semble-t-il l’Histoire, celle des hommes, comme terrain d’action poétique.

Et le constant est accablant : dévastations, injustices, meurtres, de masse ou en détail, signalent la présence de l’homme sur la Terre. Une histoire de cris et de fureur.


Pas ou peu de « je » dans cette poésie, où le poète se fait en quelque sorte oublier. Un « tu » parfois signale sa présence, discrète. Le poète, peu soucieux d’exprimer les états d’un moi somme toute toujours dérisoire, apparaît comme une sorte de Saint-Jérôme lucide, témoin souffrant de tant de dévastations et de cruautés : « ta vie d’insulaire / dans une métropole / assimilée par la culture / les démons de l’Enfer / t’habitent / la confusion des confessions / sur la route coupée / de l’informel / une mer / entre tes deux yeux » (poème 15). Voilà qui renvoie à une forme de « condition de l’homme moderne », perdu dans les métropoles contemporaines, atomisé, existant mais infime, conscience dévastée. Cette mer entre les deux yeux, est-elle signe d’immensité, promesse d’infini, ou bien vision d’une mer de larmes ? Le poème, retenu, ne nous le dit pas. Relevons aussi, au passage, cette affirmation : « chaque jour un pas de plus / vers un abîme sans fin » (poème 16).

Sans doute le poète témoigne-t-il, un peu comme le fait Pierre Bergounioux dans son journal, de la mort des illusions : « les égarés aux pas perdus / aux illusions périmées / vers les horizons incertains / je ne sais pas d’où / je ne sais pas comment / tu te renfermes méfiant / dans ton lit de souffrance / fenêtres closes / tu blesses et tu tranches / sans jamais pardonner » (poème 30).

Que reste-t-il à qui a cru, a espéré ?


Cet imparfait du subjectif, Gérard Berréby, pour finir, ne l’exprime-t-il pas de belle façon dans ces quelques mots : « la vie comme on dit / ne t’a jamais suffi / affamé tu restes » (poème 31).




Né en 1963, Didier Gambert est spécialiste de littérature du XVIIIe (thèse soutenue en 2008, publiée en 2012 chez Champion) et a publié quelques ouvrages dans ce domaine. Il a d’abord pratiqué l’écriture poétique de manière intermittente, puis de façon très régulière ces dernières années. Certains de ses textes ont illustré une exposition de photographies de Bérénice Delvert, intitulée Métaphysique de l’Océan (La Grange aux arts, Champniers, près d’Angoulême). Présent, en tant que poète, dans les  n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 59, 60, 61 et 62 et en tant que critique dans les n° 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 70, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 88, 89, 90, 91, 92, 94, 95, 96, 97, 98 et 99 de Lichen.






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