de Didier Gambert
Chronique Romain Fustier, toutes ces bêtes autour, Les Lieux dits, « Les Cahiers du loup bleu », premier trimestre 2023, 30 p., 7€.
toutes ces bêtes autour, de Romain Fustier : voici un ouvrage qui tient les promesses de son titre.
Publié par les éditions Les Lieux dits, dans la collection « Les Cahiers du loup bleu », ce court ouvrage de 30 pages réunit vingt-quatre textes uniformément composés de six tercets en vers libres.
L’ensemble se veut une célébration des hautes terres de l’Auvergne, familières à l’auteur, dont on apprend que, né à Clermont-Ferrand, il a eu à cœur de ne pas abandonner les lieux qui l’ont vu naître.
Il s’agit donc d’un ensemble poétique que l’on peut qualifier de situé.
L’ouvrage est précédé d’une épigraphe de Georges Conchon, issue d’un Guide bleu déjà ancien (1959), consacré à l’Auvergne. Pour celui-ci, mais on imagine volontiers que Romain Fustier n’est pas loin de penser la même chose, il s’agit-là d’une terre d’élection. On y évolue sur les hautes terres (et l’on ne peut, alors, s’empêcher de penser à Pierre Bergounioux, chantre des terres du plateau de Millevaches et de ses environs, ayant opté, lui, pour l’éloignement géographique, seul à même de conférer la distance nécessaire pour accomplir l’acte, si important pour lui, d’écrire). Georges Conchon écrit donc : « On goûte l’air. On pense à tous ces gens, pas loin, qui prennent les eaux du Mont-Dore, de La Bourboule, de Saint-Nectaire […] On est content de les savoir là. Les autres passent en grands courants pressés vers le sud, comme des vols d’oies sauvages ». Il y a indéniablement dans l’ouvrage de Romain Fustier quelque chose qui tient de la géopoétique, chère à Kenneth White. On pense également, par association d’idées, à un texte polémique de Julien Gracq : Pourquoi la littérature respire mal.
Elle respire mal d’avoir renoncé à un certain contact avec la nature, elle respire mal d’évoluer dans un cadre humain, exclusivement humain, trop humain, régi par les sciences et les techniques.
Romain Fustier imagine un univers dont le « chalet » constitue en quelque sorte le centre. Quelques déplacements structurent l’ensemble, de la randonnée pédestre au parcours en voiture.
Dans tous les cas, l’auteur se montre sensible aux choses simples, à une vie harmonieuse où l’homme et l’animal coexistent, et recrée une sorte d’Arcadie post-moderne, où la simple vision d’un renard vite disparu « nous a permis / de nous éclipser de nos existences / d’humains motorisés » (p. 14). De fait chacune de ces visions est perçue comme un don, un miracle de la nature, en quelque sorte, et ce même si l’animal est un simple blaireau : « un blaireau apeuré / sur la route dans les phares / virage du col // il a traversé / titubant allant de droite à gauche / devant le capot // son pelage clair au milieu du sombre du bitume / paniquant et paniquant » (p. 20). Les notations sont simples, objectives : le poète ne s’embarrasse pas d’images inutilement « poétiques ». La vision du blaireau suscite « un petit peu / de pensée rêveuse pour le reste / de la soirée » (p. 20). Le poète a entrevu quelque chose de la Nature : bref moment d’ébranlement poétique, effraction du regard.
La poésie de Romain Fustier, dans ce mince recueil, se caractérise en effet par une sorte de délicatesse et d’attention aux choses et aux êtres. Parfois ce sont visions d’un monde qui s’enfuit, que l’on accueille avec comme un pincement au cœur : « troupeau de vaches / dans un virage traversant la route / avec le soir // le gilet fluo / de l’éleveuse visible très vaguement / sur la chaussée » (p. 7). Et le poète de conclure : « je laisse passer / les bêtes pareilles au temps lent / qu’elles incarnent » (p. 7).
Peu à peu, on a comme l’impression que la nature gagne, l’emporte : le poète, et la personne qui l’accompagne, et souvent lui parle, peut-être même des enfants, coexistent avec la nature : « le silence est / tel qu’elle entend les poissons / dans la nuit // ils sautent haut / saute-mouton à la surface calme / de l’étang » (p. 28), ou bien : « remonter le cours / du ruisseau d’après la cascade / les pieds nus // femme et fille / y pensaient depuis hier ont réalisé / leur désir ardent » (p. 29).
A la fin, l’immersion est telle que l’humain en quelque sorte s’animalise : « la rivière tombe / avec la fraîcheur et nous achevons / de nous louvifier » (p. 30).
Le néologisme final introduit dans le recueil, où elle avait déjà fait son apparition, la figure inquiétante du loup, seigneur virtuel de ces contrées.
On lit cet ouvrage avec un sensible plaisir, et on se dit qu’être poète, c’est peut-être aussi d’exercer en toute modestie, quasi incognito, en toute discrétion et sans esbroufe, le pouvoir de dire oui aux êtres et aux choses : paysages, arbres, plantes, animaux, compagnons naturels et premiers de l’être humain.
Né en 1963, Didier Gambert est spécialiste de littérature du XVIIIe (thèse soutenue en 2008, publiée en 2012 chez Champion) et a publié quelques ouvrages dans ce domaine. Il a d’abord pratiqué l’écriture poétique de manière intermittente, puis de façon très régulière ces dernières années. Certains de ses textes ont illustré une exposition de photographies de Bérénice Delvert, intitulée Métaphysique de l’Océan (La Grange aux arts, Champniers, près d’Angoulême). Présent, en tant que poète, dans les n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 59, 60, 61 et 62 et en tant que critique dans les n° 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 70, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 103, 106, 107, 108 et 110 de Lichen.
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