Chronique Didier Gambert
Chloé Charpentier, Nous les derniers vivants, éditions Tarmac, 101 p., septembre 2024, 20€.
Nous les derniers vivants est le premier recueil poétique de Chloé Charpentier. Alors que certains ouvrages de poésie se signalent parfois par leur légèreté, les mots se trouvant comme disséminés sur la page, le mérite de celui-ci est, au contraire, de faire preuve de densité, de remplir la page, de ne pas gâcher le papier. L’autrice, visiblement, a beaucoup à dire, à nous dire.
De fait, avec un titre qui sonne comme un manifeste, Nous les derniers vivants alterne vers et prose, multiplie les points de vue, donne volontiers la parole à de « pauvres gens », bref se présente comme un ouvrage engagé dans son époque.
Cela commence par une préface à valeur de témoignage, qui se présente comme un manifeste en faveur d’une relation apaisée avec le vivant. À une époque où l’homme perd peu à peu contact avec le monde naturel, ignorant les puissances opposées et menaçantes que sont Hybris et Nemesis, il se considère de plus en plus comme « maître et possesseur de la Nature », quand bien même tout devrait lui rappeler la fragilité et le caractère transitoire de ses possessions prétendues…
On sent que l’autrice se tient au point de rencontre de l’écriture poé-tique et poli-tique.
D’une part la « poiesis », de l’autre les affaires de la « polis », — la cité, la vie des gens.
« Mon plus grand souhait est que ce livre contribue, tant bien que mal, à redonner une place à la poésie dans l’action politique (au sens étymologique, s’entend). […] Je voudrais que ce livre soit lu, je le souhaite de tout mon cœur, afin qu’il bouscule ou qu’il asseye notre lien d’espèce connectée au reste du vivant, qu’il désaxe l’homme de sa vision anthropocentrée. » (p. 11).
Voici une poésie qui, en tout cas, prend acte du fait qu’écrire c’est en quelque sorte choisir. Comme l’explique G. de Lagasnerie dans Penser dans un monde mauvais (PUF, 2017) écrire conduit à afficher une position dans la cité : « il n’y a pas de valeur inconditionnelle à l’art et à la littérature. Leur valeur dépend de leur inscription politique et de leur participation à une entreprise émancipatrice. Lorsqu’elles ne se donnent pas à elles-mêmes un tel projet, ces entreprises renoncent à la possibilité de transformer le monde, le laissent intact, et elles forment donc l’un des rouages de sa reproduction. » (Lagasnerie, p. 33-34).
Il est clair que pour être « militante » la poésie de Chloé Charpentier s’appuie sur une expérience terrienne, montagnarde (l’autrice connaît très bien les Vosges) :
Rien. Que le bleu de la nuit dans les sapins.
Découpe de ronds de sorcière sur les Ballons.
Quoi ? — un chalet, une ferme, un cimetière.
Un troupeau, le parfum des foins. — Des pistes
Sans neige. — (p. 14).
Découpe de ronds de sorcière sur les Ballons.
Quoi ? — un chalet, une ferme, un cimetière.
Un troupeau, le parfum des foins. — Des pistes
Sans neige. — (p. 14).
La poésie de Chloé Charpentier reste simple, ne multiplie pas les métaphores forcées qui souvent font l’écriture poétique, se fait humble, agréablement lisible. Sans neige, le paysage nous rappelle en deux mots la réalité de la catastrophe climatique en cours.
Et pourtant, les hivers de neige dispensaient des joies élémentaires : la luge sur la pente, emportant des enfants :
Un cri de joie, comme un pieu dans la
poitrine,
s’enfonce dans la pente et disparaît derrière
trois minuscules taches de rousseur (p. 15).
poitrine,
s’enfonce dans la pente et disparaît derrière
trois minuscules taches de rousseur (p. 15).
Le lecteur prendra plaisir à lire cet ouvrage.il y trouvera matière à réflexion, s’interrogera sur le caractère hybride d’un recueil qui se veut polyphonique. Sensible aux souffrances de Gaïa, la terre-mère, l’autrice se montre également touchée par la détresse des humains, des laissés pour compte, des pauvres gens et de leurs enfants. Le plus simple, pour ne pas les trahir, étant de leur donner la parole.
Né en 1963, Didier Gambert est spécialiste de littérature du XVIIIe (thèse soutenue en 2008, publiée en 2012 chez Champion) et a publié quelques ouvrages dans ce domaine. Il a d’abord pratiqué l’écriture poétique de manière intermittente, puis de façon très régulière ces dernières années. Certains de ses textes ont illustré une exposition de photographies de Bérénice Delvert, intitulée Métaphysique de l’Océan (La Grange aux arts, Champniers, près d’Angoulême). Présent, en tant que poète, dans les n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 59, 60, 61 et 62 et en tant que critique dans les n° 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 70, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 103 de Lichen.
Né en 1963, Didier Gambert est spécialiste de littérature du XVIIIe (thèse soutenue en 2008, publiée en 2012 chez Champion) et a publié quelques ouvrages dans ce domaine. Il a d’abord pratiqué l’écriture poétique de manière intermittente, puis de façon très régulière ces dernières années. Certains de ses textes ont illustré une exposition de photographies de Bérénice Delvert, intitulée Métaphysique de l’Océan (La Grange aux arts, Champniers, près d’Angoulême). Présent, en tant que poète, dans les n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 59, 60, 61 et 62 et en tant que critique dans les n° 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 70, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 103 de Lichen.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire