Note de lecture

 



Chronique de Didier Gambert

 

 

Coralie Akiyama, Éternelle Yuki

Éditions du Cygne, coll. « Voix au poème », février 2024, 56 

p., 12€.


 

Coralie Akiyama a publié trois ouvrages de poésie. Le précédent, Vivante-moi (éd. Tarmac) avait déjà fait l’objet d’une recension dans les pages « noires et grises » de Lichen.

Éternelle Yuki est un livre de l’absence et du déchirement. L’autrice joue sur les significations possibles du mot « Yuki », lequel est un prénom en japonais, mais désigne aussi la neige.

Recueil de l’absence : on devine que l’ouvrage exprime une douleur profonde, celle d’un arrachement. On y devine le « cri » d’une mère séparée de son enfant, petite fille restée au Japon, alors qu’elle a dû prendre le chemin de l’exil à rebours, c’est-à-dire du retour en France. La notice placée en quatrième de couverture nous apprend que l’autrice a vécu « 13 ans au Japon et partage désormais sa vie entre Paris, Tokyo et Tel-Aviv ».

Indéniablement, la création poétique se nourrit ici du fait biographique, qu’il ne nous appartient en aucun cas de creuser, mais confère à chaque mot, impression, sensation ou observation fugace, un quotient de vérité qui en fait la valeur. Tout se passe comme si l’expression poétique « alchimisait » la douleur, en quelque sorte. Qu’on en juge :


Mon enfant prisonnière d’un royaume épais et d’une mer anodine rayée subrepticement comment m’aimes-tu encore et tes heures et ton île ?


Je t’aime plus que tout tant que j’écris pour toi sur un balcon étranger aux oiseaux de cuivre et feuilles rondes plus il y a de douleur et plus il y a d’oiseaux (p. 7).


Formé de courts textes de prose poétique, et parfois, rarement, de vers libres, le tout étant ponctué de manière irrégulière, le recueil semble chercher à dire et transcender d’un même mouvement. On reconnaitra-là ce qui, parfois, constitue l’essence d’une parole à proprement parler poétique, et ce d’autant plus que l’autrice se plaît à travailler-malmener la matière de la langue, peut-être afin qu’elle souffre aussi :


Ne m’essuie-glace pas encore si plutôt je brulais belle comme un tas de décorations dans les sanctuaires pour le Nouvel An (p. 9).


L’espoir de te revoir s’amuse s’amenuise s’amemuse et puis comme ça un jour tu me raconteras ta journée je me jetterai sur l’anecdote comme une affamée sur du pain (p. 15).


Puisque la colère une faiblesse je visagerai sans morsures à la surface d’une vie scellée en sous-marine (p. 17).


Les distorsions, mots-valises, changement de classe grammaticale caractérisaient déjà l’écriture de Coralie Akiyama dans ses recueils précédents. L’autrice, assurément, par ce travail de langue s’efforce de contenir et maîtriser une douleur sans cesse trop présente, que le moindre détail vient ranimer :


Tes pensées changent de position dans le lit et je suis plus loin de toi que jamais lorsqu’ils étaient fermés tes yeux étaient un trait droit (p. 12).

Ce sont-là de petites « épiphanies cruelles » que déploie pour nous Coralie Akiyama : on y trouve la vérité de la sensation, du souvenir, associée à un très vif sentiment de perte accablante, irréparable. Dans cas particulier l’absence de la ponctuation traduit le déséquilibre, le malaise : le lecteur, emporté par la succession des mots doit trouver où placer la pause, ce qui crée la possibilité de lectures multiples.


Le lecteur sera sensible à une certaine réalité japonaise qu’il ne connaît peut-être pas. L’autrice, de par son expérience personnelle, a pu entrevoir des pans de cette réalité, se les assimiler, et, même si l’ombre de Kawabata est présente ici ou là, on pressent que quelque chose, là, a été senti, vécu :



Avec le typhon on était un peu moins seules

le soir crissait et cognait aux quatre vents tremblent

les placards du quartier comme sous les doigts d’un

cambrioleur pressé (p. 27)


la maison avait ses points chauds qui vivaient comme

des organes les portes roucoulissaient sous mes doigts

les placards muraux respiraient comme les gens (p. 25).


On lira donc Éternelle Yuki avec plaisir et intérêt, avec le respect également que l’on se doit d’observer lorsqu’on a le sentiment d’atteindre à quelque chose qui, d’une manière ou d’une autre se rattache à l’ordre de l’intime et du secret.

 

 

Né en 1963, Didier Gambert est spécialiste de littérature du XVIIIe (thèse soutenue en 2008, publiée en 2012 chez Champion) et a publié quelques ouvrages dans ce domaine. Il a d’abord pratiqué l’écriture poétique de manière intermittente, puis de façon très régulière ces dernières années. Certains de ses textes ont illustré une exposition de photographies de Bérénice Delvert, intitulée Métaphysique de l’Océan (La Grange aux arts, Champniers, près d’Angoulême). Présent, en tant que poète, dans les  n° 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 43, 45, 47, 49, 50, 51, 59, 60, 61 et 62 et en tant que critique dans les n° 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 70, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 88, 89, 90, 91, 92, 94, 95, 96 de Lichen.

 

 

 

 



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