Didier Gambert a lu À la fin des fins, suivi de Pourquoi pas / ne serai poète, de Mathias Lair (Les Lieux Dits éditions, collection « Les Parallèles croisées », 1er trim. 2022, 70 p., 12 €).
Il y a une forme de mélancolie dans l’un des tout derniers livres de poésie de Mathias Lair. Est-ce lié au titre : À la fin des fins ? à la négation au futur : pas ne serai poète, qui l’accompagne ? Peut-être cela tient-il également à la tonalité du premier p(r)oème (en sait en effet que l’auteur ne se veut pas exactement poète et use volontiers de ce néologisme pour désigner les textes qu’il publie), rédigé au passé, qui semble évoquer le regret de temps lointains : « On avait l’élan la turgescence / on pressentait des jours / heureux on croyait… le suspens / d’angoisse une attente seulement / bientôt disparue / alors que l’on voit / déjà la fin la petite / mort comme prélude […] » (p. 9). Le texte est intitulé « Jubilation », peut-être par antiphrase, à moins que l’évocation n’entraîne avec elle un sentiment de bonheur transitoire. Le collectif « on » renvoie de toute évidence à l’expérience commune à tout être humain : à une phase d’expansion du moi, marquée par les désirs, les conquêtes, aspirations et idéaux, succède, avec le temps, un phénomène de reflux — la vague, longuement prolongée, se retire et découvre la grève. C’est l’heure des bilans. D’une manière plus générale, le temps nous transforme en inquiétants ou émouvants personnages faustiens. Sans doute faut-il voir dans ces proèmes une forme de désenchantement plus générale : à l’épopée personnelle, affleurant ici et là, sans doute faut-il combiner l’expérience collective qui rêva, ou pressentit des jours heureux, non advenus. On rencontre, pour établir un parallèle, de telles notations, tout aussi désenchantées, dans les Carnets de notes de Pierre Bergounioux.
À l’évidence la voix poétique ne se satisfait pas d’un tel état de choses et entreprend de réparer, corriger, gauchir ce donné initial. Peut-être ici s’agit-il d’écriture : « Voulu j’avais / nettoyer nettoyer / chercher le nu/ jeter les falbalas / histoire familles amours / idées et combats je moi / et les autres […] alors nettoyer décaper / à l’os plus de / chair vibrionnante / mais un pur et serein / réceptacle ou n’être / qu’une pure odeur / de rose / s’évider » (p. 22). Ainsi s’impose un phrasé particulier, qui n’est pas sans évoquer une autre publication de Mathias Lair (Écrire avec Thelonious publié au Grand Tétras) fondé sur une utilisation expressive de la typographie : gras, romain, italique. On parvient ainsi à une scansion quelque peu chaloupée, décalée où apparaissent les mots importants, les oppositions signifiantes (chercher, jeter). Comme dans Écrire avec Thelonious l’auteur, qui a aussi publié Il y a poésie (éditions Isabelle Sauvage), se laisse aller à proposer au lecteur des fragments d’art poétique. Car, que l’on ne s’y trompe pas, l’écriture occupe une place centrale dans une publication que l’on devine marquée du sceau de l’intime : « Rester ainsi / à l’infra surtout / pas de chant / pour me recoller / à la peau plutôt / cette nudité vide » (p. 51).
Ainsi de ce p(r)oème-accumulation : « Colère ire irritation courroux exaspération / inimitié antipathie animosité / emportement haine aversion / répulsion répugnance et abomination […] // comme tu me fais du bien » (p. 28). On imagine volontiers, dans ce texte qu’il n’était pas possible ici de citer en entier, que l’auteur brûle de dire son fait au monde et que cette parole vaut libération.
Pour finir : un charme particulier émane de cet ouvrage, sensible et élégant, qui laisse beaucoup à déduire et à deviner. Y être réceptif, c’est le souhait que l’on forme pour le lecteur, censément bénévole, qui ne s’en repentira pas.
Didier Gambert
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