Myriam OH

 

Les lignes de l’insomnie

 

C'est pas parce qu'on sait que l'histoire va mal se finir qu'il faut s'empêcher de la lire. La vie, cette vaste comédie dramatique entre ses envolées lyriques et ses pauses nécessaires. Hier rien n'avait de sens, aujourd'hui c'est pas mieux mais tu te surprends à en rigoler comme un con ; les larmes attendront demain. Ou plus tard, au fond t'es pas vraiment pressé de te prendre le mur que l'horizon camoufle. T'es plus pressé de rien d'ailleurs. Tu profites de chaque page relis souvent dix fois la même phrase. Parce que t'as du mal à te concentrer. Parce que t'as peur de louper un truc. Ou parce que tu la trouves belle pour aucune raison particulière. Parfois même tu reviens à la page précédente juste pour te laisser à nouveau surprendre par cette phrase-là. Parfois poser simplement les yeux sur la quatrième de couverture te suffit, et tu réinventes l'histoire dans ta tête. Dans d'autres décors avec d'autres personnages. Pas forcément plus beaux mais pas tout à fait pires. Tu passes du rire aux larmes, de la colère à la paix intérieure, et le jour passe si vite que tu sens même pas la nuit tomber. C'est pleine lune tous les soirs en ce moment et même les somnifères ne font plus effet. Aujourd'hui est un jour à lire dans les lignes de l'insomnie, le repos du guerrier attendra demain. La tension est à son comble, ton corps tient encore debout dans le quotidien mais ta tête trace sa route dans un monde parallèle. Peut-être que tout est en train de s'effondrer autour de toi, peut-être que demain tu devras rembourser les ardoises qui s'allongent sur le compte de la vie. Peut-être que ce livre te rend tellement ivre qu'à chaque pas t'es en état d'ébriété perpétuelle, peut-être même que ça commence à se voir que les flics sont pas loin et que demain est déjà là. Peut-être que tu te poserais des questions si t'arrivais à voir plus loin que le bout de ton nez, et que t'apporterais des réponses d'adulte. Mais aujourd'hui t'es rien qu'un gosse qui croit dur comme fer qu'il est le héros de l'histoire, et qu'il peut rien lui arriver tant qu'elle est pas terminée. Et qui se doute pas que parfois le héros meurt à la fin. C'est pas parce qu'on sait que la vie est une pute que ça vaut pas le coup de se la taper ; aujourd'hui tu trouves un certain charme même aux images les plus sales. Le dégoût attendra demain.

 

 




Myriam OH (Ould-Hamouda) évolue avec le cœur dans les domaines du social et de l'artistique y trouvant de précieux outils pour planter des graines, qui donneront des plantes et des fruits différents selon le parcours de vie de celui qui les accueille. Dans son écriture, l'oralité a une place primordiale et, outre ses publications dans des revues et l'animation d'ateliers d'écriture, c'est en donnant vie à ses mots par la voix et par le corps, en collaborant notamment avec des artistes de tous bords, qu'elle vibre au plus haut. Instagram : @oh_myriam. Présente dans le n° 65 de Lichen.

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