Jeanne Champel Grenier

 

Silène m'était conté...

 

Connaissez-vous ces fleurs qui grimpent au bord des chemins sur leurs fines jambes de guingois et qui, dès la première averse ressemblent à des corsages vidés, échancrés et légers d'où s'évasent de fins pétales blancs ? On dirait des cloques sur les mains du printemps. On ne peut les cueillir. Elles s'écroulent sous la pluie telles des perles de papier, des paupières de poupée somnolente, à peine envisagée... Ce sont des mots vidés, gonflés d'absence, on ne saurait dire d'espoir ; on peut les éclater entre deux doigts comme des bulles de rien. Ni sourire ni larme ; juste une irrépressible et gratuite ascension aléatoire. 

Elles étonnent l'herbe commune enracinée, à la présence d'arrache-pied : comment peut-on être si fragile et téméraire à la fois ? S'élancer à cœur ouvert à la verticale de tous les déluges, de tous les hoquets du vent, pour finalement se pencher au ras de terre, noyées de ciel, pâles et répandues comme une eau des yeux qui voulaient tout voir, tout boire en rien de temps... et semblent désertées, révolues !

Ces plantes irrésolues, en quinconce, sans départ ni achèvement, dont personne ne demande le nom et qui vous donneraient envie d'une genèse irresponsable silencieuse de bord des fossés, auraient-elles leur moment de plain-chant ?

Ces fleurs ont un secret ; ce sont des « silènes » qui sécrètent le soir un abondant nectar irrésistible ; les papillons de nuit y viennent communier comme à l'église et les pollinisent pour l'éternité...

 

 




Jeanne Champel Grenier, enseignante, artiste-peintre et poète. En Ardèche :  prix S.P.A.F. 2014 ; en Provence : Apollon d'or Poésie Vivante 2016. Une vingtaine d'ouvrages édités (15 recueils de poèmes, 3 romans, 3 recueils de nouvelles). Est publiée (textes et chroniques) dans une dizaine de revues : PortiqueLe journal à SajatL'AlbatrosPoésie sur SeineFlorilègeVersoTraverséesRose des tempsCouleurs Poésie 2Les Amies de Thalie. Présente dans les n° 61 et 62 de Lichen.

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