Jean Diharsce

 

 

Casque d’or



si j’avais mes quinze ans
je te regarderais dans un coin de bistrot
comme à la dérobade
avec ton casque d’or
nous referions le monde avec tous ces copains
je glisserais un mot
peut-être un poème
écrit en bleu de cyan
dans ton sac en tissu
fixant un rendez-vous où tu ne viendrais pas
et j’irais voir ailleurs où je ferais l’amour
de mon côté des Pyrénées
et tu irais de l’autre pour en faire de même
peut-être qu’après tout nous nous serions ratés
la vie est ainsi faite

si j’avais mes vingt ans mes trente mes quarante qui dit mieux mes cinquante
nous nous serions croisés
je t’aurais vue superbe
avec ton casque d’or
nos lieux seraient les mêmes et nos destins aussi
tu aurais fait des hommes
j’aurais fait tant de femmes
et même des enfants comme des vrais cadeaux
chacun de son côté
et nous aurions marché sur les mêmes chemins

aimé les mêmes rêves partagé des idées
de révoltes en amours et de combats en larmes
nous aurions tous les deux parcouru tout ce temps comme enfants étonnés dans ce monde de
grands
peut-être qu’après tout nous nous serions ratés

et me voilà ici
au bout de mes soixante
où je parle au présent
je te vois vivante et porteuse d’espoir
avec ton casque d’or
il reste tant à faire de tout ce qui fut fait ou bien ne le fut pas
il y a les instants de ce vrai rendez-vous
le possible rendu par nos regards sur nous
cette infinie patience et cette intelligence
tous les sens en éveil et la curiosité
la lucidité douce de ceux qui ont vécu
juste le temps
fut-il plus court
de l’évident
et du partage

nous savons maintenant tout ce qu’il faut savoir pour ne pas nous rater
il nous reste demain

Jean Diharsce a 65 ans, a fait le choix de vivre en Bretagne (où la mer, les rocs et les mots sont rudes et doux), écrit tous les jours et a regroupé certains de ses poèmes dans plusieurs recueils publiés aux éditions Jacques Flament  (https://www.jacquesflamenteditions.com/jean-diharsce/). Présent dans les n° 45, 46, 47, HSC, 68, 69, 73, 79, 80 de Lichen.