Guy Coutherut


Libre choix d'épitaphes (6)

À chaque enterrement, je venais me poster devant le cimetière et j'installais mon matériel : un petit stand vite monté, avec les épitaphes posées sur des tréteaux.
Ce matin-là, il bruinait. Peu de monde à cet enterrement. Les gens passaient devant le stand sans même me calculer. 
Une femme vêtue d'un long manteau, tenant par la main un enfant, s'approcha des tréteaux et se pencha pour lire. Son visage était caché par un chapeau de feutre noir aux larges bords. 
— Je vous les prends toutes ! dit-elle d'une voix grave, sans lever la tête.
— Vous faites dans l'import-export ? demandai-je, sans oser mentionner la Chine.
Elle émit un vague grognement, qui en disait long sur ce qu'elle pensait de ma courte vue. Pas commode, la dame.
Un peu vexé quand même, je faillis l'envoyer sur les roses. Puis je me dis que c'était là une occasion de passer à tout autre chose. « La mort, la mort, la mort, y a pas que ça dans la vie ! », m'entendis-je penser. « Au lieu de fréquenter les cimetières, tu pourrais te rapprocher… des maternités, par exemple ! »
— Attendez quelque peu. J'envoie quelqu'un pour les porter, ajouta-t-elle de sa voix grave, qui avait quelque chose de plutôt inquiétant. Puis elle partit avec l'enfant. J'emballai le tout en silence, tout en gardant un œil sur eux. En traversant la rue, l'enfant, soudain, se retourna. Je pus enfin voir son visage. Aucun doute. C'était moi.




Membre de l'espèce humaine et conscient que celle-ci se hâte vers une fin aussi indéterminée qu'inévitable,Guy Coutherut tente en permanence, depuis qu'il sait parler, un dialogue avec les arbres, les oiseaux et les nuages en vue d'éclaircir la situation. Devant l'ampleur de la tâche et la maigreur des résultats, il s'applique à ne rien faire qui puisse le décourager. Présent dans les n° 41, 42, 43, 44 et 47 de Lichen.

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