Frédéric Abergel

 

La peau

 

La peau n’est pas un jeu. Elle trie l’extérieur, t’enveloppe du dehors, protège l’intérieur. Parfois elle se casse. Sans prévenir. Souple et docile lorsque tu la ménages, la peau se crispe et devient dure ou rêche, pétante et fissurable. La peau n’est pas un jeu, même quand ta peau joue.

Parfois de lézard, elle te va à ravir. Elle te montre aux autres forte et imperméable, verte et en armure. Elle te triche. Parfois de pêche qui veloute le regard, elle te va à plaisir. T’offre aux autres douce et duveteuse, charmeuse et naissante. Elle te flatte.

La peau n’est pas un jeu. Ta peau, ta vraie peau s’accable d’évidence. Marque le temps. Les suites. Les coups et les échecs. Les impressions. Les évasions. Les futilités comme les importances.

La peau est ta preuve.

 

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Le coin

 

Une phrase peut suffire. Un mot, même.

Petit mot insidieux. D’allure débonnaire il force l’ouverture, explore la fissure, écarte les défenses. Un petit mot l’air de rien instille le malaise, détruit l’harmonie, te rend maladroit. Un mot comme un rien, tutoiement trop rapide comme une caresse sur l’avant-bras qu’on ne demandait pas. Une question sans invite, un regard importun, l’export abusif d’une parole indue.

Petit mot, coin de bois qui s’insère, te cause un grand écart.

 

 





Frédéric Abergel, enseignant-chercheur en mathématiques, voyage(ait) beaucoup, va souvent visiter les montagnes proches ou lointaines. Son « paradis » personnel est en Grèce. Signe particulier : marche, tout le temps, dans Paris, à la campagne ou ailleurs. Écrit depuis longtemps, publie parfois, poste sur http://gasteropode.org des billets consacrés à la marche et la gourmandise, et sur http://courts-ecrits.org des textes courts et poétiques. C'est sa première apparition dans Lichen.

 

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