Éric Moutier

 

Manque une case

 

Depuis petit, on voulait que j’entre dans une case.

Je n’y étais pas fermé. Je me disais qu’on devait s’y sentir bien, au chaud, cocooné dans sa case faite sur mesure. Mais c’était le contraire, c’est moi qui devait être à la mesure de ma case.

J’avais le droit de choisir entre plusieurs modèles. 

J’en ai testé quelque-unes, de ces cases : trop ronde, trop étroite, trop carrée, trop saillante, trop losange même. 

J’ai exposé mon problème, mais on m’a dit que j’y mettais de la mauvaise volonté, que je ne faisais aucun effort, que c’était moi, le problème.

J’étais un peu grognon, mais on m’a exposé la solution : il fallait choisir la case dans laquelle j’étais le moins mal à l’aise, et après il n’y aurait plus qu’à me raboter. 1 jour, 1 mois, 1 année, c’était selon mon degré de résistance, et c’était indolore, ou pas...

Alors j’ai choisi ma case en forme de cerf-volant, c’est quand même bien plus majestueux que ces licornes que l’on voit sur tous les podiums, un cerf qui a des ailes. Plus rustique, plus authentique, plus hygiénique aussi. Ces licornes effet de mode, quelles crâneuses quand même !

N’empêche, ma case losange me faisait mal, mal, mal.

Impossible de s’asseoir dans un losange, et avec mon vague à l’âme, impossible de m’envoler.

Une vraie impasse, cette histoire de case.

A commencé alors le rabotage, avec une machine à raboter les êtres flambante.

On m’a raboté des cheveux aux doigts de pieds, des rêves aux pensées, des projets aux opinions.

Je suis rentré dans ma case qui me faisait toujours mal même si elle était censée ne plus faire mal. Et j’ai joué à faire semblant de pouvoir m’y asseoir. 

Mais la case a très vite su, elle m’a vendu, donné, dénoncé, j’aurais dû me douter que c’était une case à problèmes. 

On m’a sorti de ma case, l’air grave, pour s’entretenir avec moi. Puisque je refusais de me caser, on allait devoir me coller une étiquette : incasable. Gravé en gros et sur le front, pour que personne ne s’y méprenne.

J’étais stupéfait, furieux, triste, et puis, et puis, j’ai réfléchi...

Je laisse aux licornes de podium le soin de truster les cases, 

Et pars à la recherche d’un cerf ailé

Capable de supporter 

Les étiquettes collées sur notre nouvel attelage.

 

 




Éric Moutier se présente ainsi : « Gentille poussière de 38 ans ne cherchant pas la gloire, marié, vivant dans l’inspirante nature corse et lavant des vitres pour gagner sa vie. Écrit de la poésie depuis ses 6 ans et la découverte de Nuit de Neige. À publié quelques poèmes dans le magazine Carnet d’Art. À une autre époque, a écrit et composé des chansons jouées sur Paris, reçu une formation d’art dramatique aux cours Florent, et exercé l’art de la lecture audio pour des projets bénévoles. » Présent dans les n° 72 et 73 de Lichen.

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