Par Nadège Cheref
Jean-Louis Keranguéven
J’ai rencontré Jean-Louis Keranguéven pour la première fois à la Maison de la poésie de Montpellier lorsque j’ai été lauréate des Nouvelles Voix d’ici en novembre 2022. Jean-Louis avait été désigné pour être mon « parrain » et me présenter au public présent ce jour-là. J’étais pétrifiée et très intimidée à l’idée de lire mes poèmes et Jean-Louis a su faire preuve d’humour, de gentillesse et de tolérance. J’ai apprécié par la suite son talent, son humilité et sa bienveillance. C’est une grande joie pour moi de vous présenter ce grand poète.
Photo Jacky Gil
Présentation (rédigée par le poète)
Jean-Louis Keranguéven, poète d'origine bretonne et d'adoption montpelliéraine est né en 1942.Il a publié en revues et une vingtaine d'ouvrages dont plusieurs ont été récompensés.Obsédé
par la quête du mot exact qu'il doit à l'influence des poètes
asiatiques et à Guillevic ou Charles Juliet,il se réfugie souvent sur la
canopée pour compter les vagues, celles de l'Océan ou de la
Méditerranée.
Entretien
Lichen : Cher Jean-Louis, je te remercie d’avoir accepté de participer à l’aventure de Lichen. Tout d’abord, j’aimerais savoir à quel âge tu as écrit ton premier poème, si tu t’en rappelles et si tu as su à ce moment là, que la poésie serait toujours présente dans ta vie.
Jean-Louis Keranguéven : Je pense que je devais avoir 15 ans.J'étais pensionnaire dans un lycée triste et écrire était une façon de m'évader.Je ne me souviens plus précisément de ce poème mais j'étais déjà convaincu
que la poésie jouerait un rôle capital dans ma vie en ce qu'elle contribuait à forger mon identité et
ma personnalité.
L : La nature tient un rôle essentiel dans tes poèmes, la mer, les arbres...Mais elle est souvent, je trouve, en lien avec nos doutes et notre fragilité d’être humain. Quel est ton rapport à la nature ? Est-elle ta première source d’inspiration ?
J.L.K : Je suis un être de la ruralité et il est normal que la nature(ce qu'il en reste…) soit au premier plan de mon questionnement.Quant à la prégnance maritime, sous toutes ses formes, mes racines celtiques sont là pour que je les honore.Elles ont suscité très tôt chez moi le désir de travailler sur la mer.Le passage de l'Atlantique à la Méditerranée a induit de ma part un effort d'adaptation conséquent.Mes deux pôles actuels d'inspiration sont la vague et l'arbre.Deux symboles qui viennent souvent colorer mes poèmes.
L : J’aimerais aborder le processus créatif notamment le lien qu’entretient le poète avec l’imagination. Est-ce que comme certains écrivains tu t’imposes quotidiennement un temps d’écriture ou attends-tu d’avoir un certain état d’esprit et surtout cette « impulsion » créatrice ? As-tu déjà eu peur de ne plus avoir d’inspiration ?
J.L.K : Pour écrire un poème,je ne m'impose pas quotidiennement un exercice d'écriture.Ce serait comme un pensum qui n'aurait plus rien de poétique.Par contre, j'essaie de me mettre dans un état de réceptivité,de vacuité,puis de calme en attendant le mot-clé à partir duquel va se dégager progressivement le poème.La poésie me semble l'exercice de langage qui demande le plus de réflexion,de maîtrise, d'élaboration(mes poèmes sont dans l'ensemble très courts),de renoncement et d'humilité.Il n'est donc pas étonnant que le manque d'inspiration provoque une certaine angoisse.Mais heureusement,la vague poétique finit toujours par triompher !
L : Quels sont les poètes qui t’ont le plus bouleversé ? Et pourquoi ?
J.L.K : Charles Juliet, Eugène Guillevic,les poètes asiatiques car tous animent le chantier linguistique au prix de grandes difficultés mais avec la récompense jouissive d'avoir traduit l'émotion avec le mot juste,en ayant fait vivre la langue.
L : Lors de l’élaboration d’un poème, quel moment préfères-tu ? Et que ressens-tu quand il est enfin terminé ?
J.L.K : L'élaboration d'un poème demande parfois plusieurs jours.Comme je me suis aperçu qu'on pouvait dire l'essentiel avec très peu de choses,le meilleur moment est bien sûr celui de la conviction que le
mot exact est bien celui qu'on cherche,une fois le rabotage achevé.
L : Quelle serait ta définition de la poésie ? Tu peux y répondre par un poème si tu le désires…
J.L.K : La poésie est ce que j'ai trouvé de mieux pour faire barrage à la mort.
C'est une façon de présenter le réel sous une autre forme, pour vaincre celle qui nous avait
échappé,celle dont la lecture hâtive et maladroite ne suffisait plus à nos désirs.
Poèmes de Jean-Louis Keranguéven
ce fut les feuilles
arraché du feuillage remontrent
du tronc
qu'il eut enfin la
certitude d'appartenir à je lis la
ses écorces mer dans
les nervures
*
soudain rencontrée
cette haute
rangée
de pierres alignées
scarifiées
sacrifiées
avec sa poêlée sidérale
sous la chênaie
chasublée de grillons
branches ouvertes
sur du
ciel vide
ou du temps
d'arbre
*
chaque matin
rendre visite
au potager
écouter croître
le réel
et mesurer
le reste du
chemin
Photo Mali Maeder
Pour découvrir davantage Jean-Louis Keranguéven
Bibliographie
-Dans le ressac de l'écriture . Ed. La Licorne 2006
-Livre pauvre (coll.Aboli bibelot, Daniel Leuwers , avec le peintre Marcel Robelin 2007
-De l'éloge du cri au partage du silence ,Ed.Les cent regards 2007
-Dans la promesse arborescente , Ed. Des Cent Regards, avec le peintre A.Pierre Arnal 2008
-Repères d'échouages .Ed. Encres Vives , avec le peintre Maurice Doladille 2008
-Elle et Lui phréatiques. Anthologie Triages Tarabuste 2009
-Le tutoiement des branches .Ed. N et B 2010
-A contre sève. Ed. Encres Vives 2010
-Carré d'orties . Ed. Encres Vives 2011
-Au silence consenti .Ed. De L'Atlantique 2011
-Au delta des paumes. Ed. Le Petit Pavé 2012 Prix de la découverte poétique S . de Carfort
-Comme un paysage absent.Ed. Du G.R.I.L. 2012
-Patients comme les algues . Ed. Douayeul Prix des Beffrois 2013
-Dialogues d'aréoles .La Licorne 2014
-Le silence échardé . Ed. Encres Vives 2016
-De l'arbre il faut te souvenir .Ed.Alcyone 2016
-La soif exigeante du cri .Papiers coupés 2019
-La grande eau verte du poème (bilingue français-occitan) L'Harmattan 2020
-A l'estime Ed.Des 2 Rues 2020
-Brisures Ed.des 2 Rues 2020
-Le chemin n’est chemin avec le peintre Alain Clément 2023
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire