Par Nadège Cheref
Walid Ben Selim
La première fois que j’ai découvert Walid Ben Selim, c’était au Théâtre Molière à Sète, pour le spectacle Nascentia, en 2022. Un spectacle créatif, poétique, captivant, émouvant dans lequel la musique m’avait profondément enveloppée. Et puis, j’ai aimé la collaboration, la générosité et la profonde humanité de Walid, avec les élèves du Conservatoire de Mèze. Tout récemment lors de l'une de mes lectures, alors que je m'apprêtais à lire mon dernier poème, j'ai aperçu Walid Ben Selim s'arrêter pour m'écouter. Cela m'a touché, j'ai apprécié sa curiosité et son humilité. Alors, je l'ai contacté pour le remercier et lui proposer un entretien dans Lichen. Il a eu la gentillesse d’accepter. J'en suis très heureuse et lui en suis reconnaissante.
Présentation
En 2010, Walid se fait remarquer par le Gowri Art Institut en Inde pour sa première résidence de création, où il redécouvre la poésie arabe. De retour en France, il pose les bases de la création sonore N3rdistan qui, deux ans plus tard, sera « Inouï » au Printemps de Bourges et révélation Visa for Music 2015.
Après plus de 200 concerts avec N3rdistan, notamment à Jazz sous les pommiers (Coutances), Oslo World Festival, L’boulevard, Journées Musicales de Carthage, Beau Regard, Les Déferlantes, Liverpool World Festival, Montreal Arabe Festival, Walid signe, en 2018, la musique du long métrage marocain Une urgence ordinaire de Mohcine Besri. Il enchaîne concerts et invitations, notamment au festival de Musique Sacrée de Fez, Sacred Spirit Festival de Jodhpur (Inde) et Recbeat au Brésil et il est invité par la fondation Mahmoud Darwich pour une tournée en Palestine.
Walid devient artiste associé au Silo en 2019 et avec la scène nationale de Sète et l’Opéra de Montpellier, il est sollicité pour créer autour de l’œuvre de Darwich Le lanceur de dés, une pièce mêlant théâtre et musique, où il écrit et dirige pour les musiciens de l’Opéra. Il signe en 2021 la musique du film Sidi Valentin de Hicham Laasri sur Netflix, suivi de son long métrage Haych Maych en 2022.
En Octobre 2022, Walid est invité par la Symphonie de Miami pour faire l’ouverture du Oslo World Human Right. Enfin, La Monnaie de Bruxelles le sollicite en 2023 pour l‘écriture de son nouvel opéra Ali.
Lichen : Cher Walid Ben Selim, je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir accepté cet entretien pour Lichen. C’est une grande joie pour moi, qui apprécie l’artiste que vous êtes de faire découvrir à nos lecteurs votre univers musical et poétique. J’ai écouté une de vos interviews dans laquelle vous évoquiez l’amour de votre mère pour la poésie, notamment celle du grand Mahmoud Darwich. Comment se manifestait cet amour pour cet art ?
Walid Ben Selim : Tout d’abord, merci pour l’amour et l’attention que vous portez à mon art.
Dès le plus jeune age, j’ai baigné dans l’amour des mots, ma mère me lisait les textes des grands poètes ou me faisait écouter les chansons des classiques arabes qui se basent sur la poésie. Ma mère aime particulièrement Nizar Qabbani, le poète syrien, considéré comme le poète de la femme et qui a écrit des dizaines de poèmes pour la musique arabe, notamment pour Oum Kalthoum ou Hafez.
Ma première fois sur scène, à l’âge de 5 ans, était avec une chanson de Marcel Khalifa sur un texte de Mahmoud Darwich Ahinou ila Khoubzi Oumi (Je me languis du pain de ma mère), lors d’une manifestation culturelle pour les droits de la femme, un 8 mars. Mon lien avec Darwich est assez particulier.
L : Vous êtes musicien, compositeur, interprète et grand orateur. Lorsque je vous ai vu sur scène au Théâtre Molière à Sète, la poésie était au centre de ce spectacle fascinant, d’une grande beauté. Est-ce la poésie qui vous a amené à la musique ou est-ce que les deux ont toujours été indissociables ?
W.B.S : Je suis de ceux qui veulent un monde artistique sans cloison, car je n’ai jamais fait la distinction entre un poème symphonique ou un tableau poétique, les arts dans leur ensemble s’agrègent, fusionnent et rebondissent sur le monde réel en d’autres formes. C’est dans cet esprit que Fauré compose les poèmes de Verlaine et Liszt de Victor Hugo. Il serait facile et plutôt logique de dire qu’enfant nous sommes plus attirés par la forme musicale ou poétique, mais ce serait passer à côté de la beauté du rythme et de la musicalité sous-jacente à un poème.
L : Que vous apporte la poésie en tant que lecteur et poète ?
W.B.S : Si la musique pour moi est la première des langues, la poésie en est les mathématiques, c’est une équation intemporelle et universelle qui tend à résumer la nature humaine ou les sentiments et les états de l’être. En ce sens, le poème m’apporte une réflexion sur moi-même que j’aurais pu avoir avant ce siècle quand je lis les poètes d’avant, ou une description de moi-même dans les lectures que les autres auront de moi dans les siècles à venir. La poésie éclaire les sentiments et les états d’âme, même quand elle est politique, elle vient percuter une vérité actuelle pour la remplacer devant l’éternité.
L : Quels sont les poètes qui vous ont le plus touché et pourriez-vous nous faire partager quelques extraits ?
W.B.S : Il est difficile pour moi de choisir des poètes, car un poète peut n'avoir écrit qu'un seul poème-fulgurance qui résume bien des recueils. Néanmoins, si je dois en citer, je choisirai Al Maari, poète du 11e siècle et qui a révolutionné ma façon de voir la poésie : « Et les hommes sont poèmes récités par leur destin
Parmi eux le vers libre et le vers contraint ».
Victor Hugo : « Car le mot, qu'on le sache, est un être vivant. Car le mot, c'est le Verbe, et le Verbe, c'est Dieu. L'homme est une prison où l'âme reste libre. »
Je citerai aussi Darwich, bien évidemment, malgré le fait qu'il soit difficile de choisir juste un passage :
« Ici, entre les débris des choses et le rien,
nous vivons dans les faubourgs de l’éternité
Nous sommes qui nous sommes, sans nous demander qui nous sommes, car nous sommes toujours là… ravaudant la robe de l’immortalité ».
L : En tant que poète, comment se déroule votre processus créatif ? Attendez-vous d’avoir de l’inspiration, écrivez-vous quotidiennement… ?
W.B.S : J’aimerais citer Darwich qui, dans son poème-fleuve Le lanceur de dés — que j’ai mis en musique dernièrement —, parle de l’inspiration en ces termes :
« Je n’ai joué aucun rôle dans le poème, sauf quand l’inspiration se tarit.
Et l’inspiration c’est la chance du talent si, et seulement si, tu t’acharnes ».
L : Comment décririez-vous votre poésie et il y a t-il des thèmes que vous aimez particulièrement aborder et pourquoi ?
W.B.S : Je laisserai le soin à mes lecteurs de décrire ma poésie, elle est néanmoins entièrement tourné vers l’Amour, comme un but ultime et un état de grâce souhaitable pour nous tous. Car nous faisons tous ce que nous faisons par amour : l’amour d’écrire, de cuisiner, de vivre, de s’émanciper, l’amour de l’autre comme l’amour d’avoir ou d’être. C’est une divinité que nous avons oubliée, mais l’Amour est caché derrière chacune de nos actions, chacune de nos volontés.
L : Quelle définition donneriez-vous de la poésie ? Vous pouvez y répondre par un poème si vous le désirez…
W.B.S : La poésie c’est la mathématique de la langue, et comme les formules mathématiques, les vers sont des équations linguistiques qui synthétisent le sentiment et l’être. Et quand nous écrivons, nous écrivons pour le Temps comme premier et dernier lecteur. La poésie est une forme absolue, pour ne pas dire une formulation de l’Absolu.
Merci beaucoup à vous, Nadège Cheref.
À devenir une transe dans ta bouche exquise
tu t'envoles vers une désinvolture et des divinités.
Répète-moi encore,
que tes doigts brisent mes cycles et mes airs,
Et que tes lèvres se referment sur moi
Récite-moi,
Comme une prière d'amour dans ta langue
À devenir un culte sur ton corps
et sois mes versets nocturnes
Que mes nuits s'enflamment dans tes gémissements
Et que coule ta nuée sur mes volcans
Et que brûle le monde et le destin
Répète-moi encore et danse
Répète-moi, que je te tienne mienne
Et qu'au-dessus de mes espaces, tu sois
Récite-moi mot après mot
Et ventre contre ciel
Quand dansent mes nuages pour te faire pleuvoir
Et que pointe de ta peau la rose,
Et récite-moi
Fais de moi poèmes à ta gloire
Et rythmes rebelles pour chaque nuit
Je veux m'entendre dans tes cantiques
Que je sois l'incantation de tes antres et ton sceptre
Refais-moi, arrache-moi
Remâche-moi et renouvelle tes alliances sur mes temples
Répète encore tes gestes et invoque mes océans
Déchaîne-moi !
Fais que ce soir, je te boive,
Récite-moi,
Eau contre liège
Que dans tes jardins je me promène
Amen
Pour découvrir davantage Walid Ben Selim :
https://www.walidbenselim.art/
https://www.youtube.com/watch?v=_cGl0AAuKEU
https://www.youtube.com/watch?v=cX5CTzo7GGU
https://www.youtube.com/watch?v=DQPH2vFjm5g
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