Sacrifice
On a pas fini d’en bouffer du poème de confinement, sauce bolognèse, sauce gribiche, sauce aigre-douce du Wuhan.
Car depuis qu’elle est confinée, la France a le blues. Ça écrit, ça rédige, ça griffonne, ça transcrit. Les plumes s’aiguisent, les stylos crachent, les claviers brûlent ; une irruption cutanée d’épîtres, de prières, de stances, d’épigrammes, d’odes à la pandémie, aux soignants, à l’être suprême, à Toth, à Odin, à l'hydroxychloroquine, à Coluche, à l’abbé Pierre, au Dalaï Lama….
Des putains de trucs à dire, des trucs vachement poétiques, des trucs terriblement politiques, des visions diablement prophétiques, des analyses sacrément originales, pointues, philosophiques, existentielles, incontournables, inévitables, beuarkkkkkkkkkkkkkkkk, j’étouffe devant tant de rhétorique.
Prose-panique, vers de trouille, la décharge poétique déborde de niaiseries.
Où étiez-vous au temps trop lointain du SIDA ou trop proche d’Ebola ?
Dans un caravan-car sur les routes de la Côte d’Azur ? Dans un Easy-Jet pour la Croatie ?
Au fast-food des corps, à la rôtisserie des âmes ?
Souvenez-vous de la solution miracle : mettez une capote ou abstenez-vous !
Maintenant ça continue : mettez un masque ou restez confiné !!!
Un peu de décence. C’est vrai j’en fais des tonnes alors je la boucle.
Laissez-moi apprécier le vrai silence, l’autenthique.
Son poids, sa frayeur, sa démesure.
Son souffle bestial, tour à tour chaud ou froid, tendre et brutal, caressant et blessant.
Cette aphasie oppressante que je n’ai ressenti que le lendemain des attentats du Bataclan.
Un besoin de vide absolu pour endurer, assimiler, rebondir.
La solution : elle est si simple.
Tu t’écris à toi-même.
Inutile de publier.
Inutile de gâcher du papier. Inutile de scléroser l’espace virtuel. Inutile d’échanger cette littérature de confinement, cette boursouflure sur la véritable poésie.
Cette tumeur, ce bubon, presse-le fort.
Qu’il explose, qu’il se vide, qu’il disparaisse de ton cerveau mais qu’il reste séquestré bien au chaud pour toi seulement dans ton journal de bord.
Pour toi seulement et ta plus grande délectation.
Déguste-le.
Savoure-le.
Léon Cobra est l’animateur du Tréponème Bleu Pâle, « revue de poésie définitivement underground » : http://leoncobra.canalblog.com/ Présent dans les n° 11, 16, 26, 36 de Lichen.
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