Annie Hupé

 

Soixante-dix fois [sɑ ̃] plus huit

   

Fuir, là-bas fuir, je sens que des bateaux sont ivres. Ivres de vin, d'amour, de sang... Haïssant le spectacle indécent de commerçants, attentifs au seul pourcentage, promoteurs pressants de désirs inassouvis, je veux fuir. Transgressant les frontières du bien et du mal, avançant de la terre à la mer, passant de la mer au ciel, agneau innocent ou monstre repoussant, j'irai. Sans crainte ni dégoût du corbeau croassant, du crapaud coassant, j'irai, je consens.

 

Rêvassant la nuit verte aux palmes éventées, ressassant des vers éblouissants, fidèle au croissant infidèle, je verrai. Bénissant les poisons, belladone et digitale, caressant les poissons, insensible à la rumeur, sourd à la bruissante critique, délaissant l'étude, je marcherai sur un sentier envahi d'herbes, efflorescent, écarté de toute centurie, indifférent à la santé, à la récente notoriété, à la moralité publique. Ainsi Sancho Pança noue ses sandales et s'enchante.

 

Juin ! senteur des tilleuls envahissant la promenade.

 

Samson terrassant le lion, fut trahi, Cassandre censuréeVincent éreinté de souffrances que l'absence aiguise, est encensé, le phénix renaissant de ses cendres, brûlera derechef. 

 

Ressembler au bœuf paissant, au cochon engraissant, au coq coquericant sur le fumier, aux poules, gloussantcassant la graine, au poulet traversant la route ? Au cheval harnaché, cravaché, hennissant sa plainte ?

Plutôt fuir chevauchant le chimérique Centaure, galérer à Venise à bord du Bucentaure.

Plutôt allumer l'incendie, devenir pirate hissant le pavillon noir, mouche vrombissant autour des puanteurs cruelles.

 

Concupiscence des guêpes sur les fruits, tropisme irrépressible des inflorescences, assujetties à la puissante lumière. Forces vives agissantes.

 

Munificence des forêts, iridescence des fleuves, violence de la houle mugissant à l'assaut des récifs d'Ouessant. Essentielle splendeur du monde. 

 

Glissant du morne faubourg au berceau de Cendrillon, au centre de la terre noire, descendu du ciel des aciéries rougissant comme un mur.  Détroussant l'enfant ravissant couvert d'éloges, l'innocent adoré en décembrerenonçant au parfum de la rose centifolia, j'ai licence de courir, sans frein ni borne. 

 

 

 





Toujours — c'est à dire depuis les récitations apprises à la petit école — sensible et attachée à la poésie, Annie Hupé n'a pas cessé d'apprendre par cœur (même si ça devient plus difficile). Elle n'a commencé à écrire que fort tard, après avoir croisé les pratiques de l'Oulipo. Exercices ! Dans Lichen, c'est la « Grange aux mots et l'Atelier qui l'ont attirée. Elle a été publiée dans diverses revues, régulièrement dans Traction-Brabant. Présente dans les n° 41, 44, HSC, 51, 57, 61, 68, 74, 78, 80, 81, 86 87 , 88, 89, 90, 91, 94 et 97 de Lichen, et même avant, puisqu'elle participe à l'Atelier du don de mots depuis le n° 38.


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