Anne-Sophie Dubosson


Les bêtes ont bon dos

C'est le Nashville vert, vendu à la quarantaine. Loin, dans ses parcs devenus presque inaccessibles. Il y a une faim en moi, un souffle dispersé. Agressive derrière un énième mur de briques. L'homme en face de mon balcon est suspendu, devenu dans son hamac le jardin non retrouvé de Babylone. L'oiseau cardinal, étourneau, étourdis, je les veux tous en moi comme des futurs battements du cœur. Pourtant, l'étendue du rire s'est rétrécie, vilaine peau de chagrin, recousue de Covid, fétide, en haut de son parloir le chagrin démesuré. Il n'y a que le corps végétal qui ne souffre pas chez moi, celui de mousse ininterrompue de ma mémoire ouverte.
Il y a de longs filets de nuit qui parsèment mes jours. Les bêtes ont bon dos, ça ricane, ça pépie, grogne, dans le ventre toute une foule d'animaux extasiés puis le fourmillement. Car leurs cris descendent en moi, ça fait caisse de résonance, c'est comme ça la joie des autres mammifères, oiseaux grands becs, petits sifflements de serpents nomades.
Il y a des jours où l'écriture fait violence. Recueillie sur elle-même. Elle prend le grand A des apparences, défait Nashville debout, essoufflée dans sa partie la plus orientale.
L'écriture ne raconte plus que la grande tour vide du centre-ville. Les néons solitaires tout au creux des Bachelorettes parties.
Une belle plante pousse dans un petit appartement. Je la regarde comme si ma vie en dépendait. Dans Nashville déserté, je pense surtout aux plantes. Il nous faut croître avec elles. Pour une même lenteur de quarantaine.






Originaire de Suisse, Anne-Sophie Dubosson vit actuellement à Nashville où elle poursuit un doctorat. Son dernier recueil De rage et d’eaua été publié aux éditions Torticolis et frèreset elle a participé à diverses revues telles que Le Capital des motsTraverséesLa Cinquième saisonou encore Le Persil. Son recueil La trame de nos corps dans ce long voyagea été récompensé au concours des Arts Littéraires en 2013. C'est sa première apparition dans Lichen

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