Anne Barbusse

 

Shéhérazade  a un prénom de conte mais tout le film est imprégné d’un Marseille réel, des quartiers arabes parcourus par des héros réels, arpentant les souks à ciel ouvert et leur jeunesse plus paumée que le cinéma direct.

Elle manie son corps comme objet extérieur à elle, qu’elle prostitue sans savoir, qu’il prostitue sans savoir.

Tous deux arpentent alors une ville pauvre comme les rêves, une ville où les filles très jeunes attendent sur les trottoirs des hommes en mal de relations sexuelles au point de s’imposer des relations tarifées.

Tous deux courent, dans la rue, main dans la main, ou s’envolent à scooter.

Ils sont beaux comme des dieux défaits, des dieux pauvres, des dieux sans mythe et sans éducation, abandonnés par des mères dépassées que les HLM abritent pour de faux.

Les hommes cognent, les femmes feintent.

Les éducateurs sociaux ont des rôles de pacotille, ils ne savent de quel côté ils se tiennent, ils ont l’empathie aléatoire.

Les juges pour enfants ne sont que les bouffons d’eux-mêmes.

Et les foyers pour mineurs sont de toutes petites prisons à peine séparées des maisons pour adultes, dans cette grande pauvreté des vivants, tâchant de trouver toit et argent.

La mer est loin Marseille est une cité dure et vivante, elle aligne ses pauvres dans l’outrecuidance d’y croire encore.

Shéhérazade a un beau sourire volontaire, ou une mine butée et effrontée, elle commence à la fin un CAP de pâtisserie tandis que lui jardine. Lorsque le film se clôt, on éconduit l’avenir, on le rêve, entre amour déclaré et sourires défaits, mais on ne le filmera pas. Il faut encore conserver des espoirs pour que jeunesse se fasse.

Shéhérazade est fille de la Méditerranée comme de Marseille. Elle manie les silences avec une dextérité féminine comme la caméra s’immerge dans la rue.

Cinéma de rue, de quartier, réalisme plus onirique que toute réalité reconstruite. Jeunesse transcendante.

 

(à propos de Shéhérazade, Jean-Pierre Marlin, 2018)

 





Anne Barbusse a publié des textes dans les revues ArpaLe capital des mots, Sitaudis, Comme en poésie, Terre à ciel, CabaretRecours au poèmeTraction-Brabant et Nouveaux délits. Présente dans les n° 58, 59, 60, 61, 62, 63 et 75 de Lichen

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire