Alain Lecomte

 

Nous étions embarqués sur un vaisseau bizarre qui voguait sur une mer étale aux reflets mordorés de dôme de cathédrale byzantine. Nous étions fort nombreux et aucun de nous n'avait gardé souvenir du port d'où nous étions partis. Nous vivions dans une promiscuité dure à assumer, propice à la propagation des miasmes et à l'émission d'odeurs putrides, responsable d'un niveau de chaleur entretenu assez insupportable. Les hommes et les femmes se frottaient les uns aux autres dans un mouvement collectif et machinal et l'on n'aurait su dire si une main posée sur une épaule ou dans un entrejambe était un geste de caresse ou d'excitation vaine. Je regardais luire la sueur coulant sur la gorge d'une femme agrippée à un homme aux cheveux blancs et bouclés mais dont l'œil paraissait mort, en tout cas révulsé vers un intérieur de soi qui n'était plus qu'angoisse à moins qu'il n'ait été gagné par la froideur des pierres. Cette sueur coulait du cou vers le lit de rivière séparant ses deux seins maculés de boue, à moins que cela ne fût du cambouis laissé par les mains d'un garagiste qui avait essayé de la tripoter. Mon œil se déplaçait et regardait désormais les tendons prêts à se rompre de quelques femmes qui tentaient désespérément de repousser les agrès de la voile qui étaient tombés sur elles. Nous voguions sans but ni destinée, devinant que ce que jusqu'ici nous appelions « terre » n'avait plus de réalité, était en tout cas inatteignable car probablement trop envahi par les flammes. Nous n'étions pas les seuls et d'autres bateaux, ainsi, erraient sur cette surface maritime infâme qui n'avait ni bord ni centre abordables. 

 

 

 




Alain Lecomte, ancien universitaire, poète et voyageur, partage sa vie entre Grenoble et un petit village de la Drôme provençale. Présent dans les n° 33, 34, 35, HSC, 56 et 64 de Lichen.

 

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